Peu importe si la guerre est en cours en Ukraine ou en Russie ou dans un autre lieu. Que les chefs d'Etat s'appellent Poutine ou Zelensky ou X ou Y. Que des alliés arment les uns et sanctionnent les autres... Michelle Bachelet a rappelé hier un fait indéniable: la guerre est "absurde" et le bilan civil est "intolérable". "Au nom de chaque victime, les exécutions, la torture et les détentions arbitraires doivent cesser", a-t-elle lancé. Le conflit en Ukraine a causé l'un des plus importants déplacements de population en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, faisant plus de 8 millions de déplacés. Sur le plan militaire, des sources de sécurité occidentales évoquent 15.000 à 20.000 soldats russes tués. Les forces ukrainiennes perdent chaque jour une centaine de soldats, selon Kiev.
La Haute-commissaire aux droits de l'Homme Michelle Bachelet a fustigé mardi à Genève le bilan civil "intolérable" du conflit ukrainien, avec près de 5.000 victimes civiles confirmées depuis le début de l'offensive russe il y a cinq mois. "Les civils font les frais d'hostilités qui ne semblent pas avoir de fin", a déploré la Haute-commissaire devant le conseil des droits de l'Homme, en marge de la présentation d'un rapport sur la situation des droits humains en Ukraine.
Selon le dernier bilan de l'organe onusien, daté du 3 juillet, 4.889 civils, dont 335 enfants, ont été tués depuis le début du conflit - un chiffre probablement sous-évalué. La Haute-commissaire a également critiqué les nombreuses violations de droits humains visant les populations civiles.
La Haute-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, la Chilienne Michelle Bachelet.
Son bureau, qui a recensé plus de 1.200 corps de victimes civiles dans la seule région de Kiev à la mi-mai, tente de corroborer plus de 300 allégations de meurtres commis par les forces russes en dehors des combats.
"Des inquiétudes persistent à propos d'assassinats illégaux (de civils), y compris des exécutions sommaires", commises par l'armée russe, contre laquelle les preuves de "sérieuses infractions" au droit international continuent de s'accumuler, a chargé la Haute-commissaire. Elle a notamment reçu le soutien des Etats-Unis. "Les actions de la Russie constituent un affront à l'humanité. Nous ne pouvons pas rester silencieux" a déclaré Michèle Taylor, ambassadrice américaine auprès du conseil des droits de l'Homme, dont la 50ème session se termine vendredi.
Le représentant russe Evgeny Ustinov a lui dénoncé "une campagne de désinformation contre la Russie" orchestrée par l'organe onusien, devenu selon lui un "instrument servant les intérêts d'un groupe de pays."
Dans un message vidéo, la vice-ministre des Affaires étrangères ukrainienne, Emine Dzhaparova, a souligné la "souffrance et la douleur" de son peuple.
"La justice ne peut être rendue qu'en demandant des comptes aux auteurs de ces crimes, et en restaurant entièrement l'intégrité territoriale de mon pays", a-t-elle déclaré.
La vice-ministre des Affaires étrangères ukrainienne, Emine Dzhaparova (droite), lors d'une réunion du Conseil de l'Europe, le 20 mai dernier.
La Haute-commissaire, qui a appelé les deux camps à "s'engager à protéger tout civil et personne hors de combat", a rappelé la nécessité d'enquêter de manière "rapide et efficace" sur les violations supposées des droits humains.
Mme Bachelet a déploré à plusieurs reprises depuis le début de la guerre l'accès restreint de ses équipes aux zones de conflit sur le territoire ukrainien.
Poursuite de l'offensive russe au Donbass
Les forces russes ont continué mardi d'avancer dans le Donbass, bassin industriel de l'est de l'Ukraine qu'elles veulent finir de conquérir, avec dans le viseur la ville de Sloviansk, cible d'un violent bombardement qui a fait au moins deux morts.
Pavlo Kyrylenko, le gouverneur de la région de Donetsk où est située Sloviansk, a indiqué sur Telegram que deux personnes avaient été tuées et sept blessées par ces frappes, qui ont touché le marché central. Des journalistes de l'AFP ont vu des roquettes frapper le marché, où elles ont provoqué un incendie, et les rues adjacentes.
Rouslan, un commerçant interrogé deux heures après le bombardement, peinait à retenir ses larmes alors qu'il regardait son magasin brûler. Il a dénoncé un "génocide" perpétré par les forces russes, assurant que de tels bombardements visaient à "faire peur aux gens, afin qu'ils fuient" la ville.
"Une fois encore, les Russes visent intentionnellement des endroits où se rassemblent les civils. C'est du terrorisme pur et simple", a dénoncé le gouverneur Kyrylenko, appelant à évacuer.
Après la chute dimanche de Lyssytchansk, ville stratégique pour la conquête du Donbass, les forces russes progressent vers l'ouest et Sloviansk, qui comptait 100.000 habitants avant la guerre.
"Bombardement massif de la ville. Le centre, le nord. Tout le monde reste à l'abri", a alerté sur Facebook Vadim Liakh, le maire de la ville.
Lundi, le président russe Vladimir Poutine avait ordonné à ses troupes de prendre le reste du Donbass, déjà en partie contrôlé par des séparatistes prorusses depuis 2014.
Des roquettes ont touché mardi le marché central de Sloviansk où elles ont provoqué un incendie.
Lyssytchansk était le dernier bastion important tenu par Kiev dans la province de Lougansk, qui avec celle de Donetsk forme le Donbass.
Mardi, les troupes russes ont progressé vers l'ouest en direction de Sloviansk et Kramatorsk, les deux plus grandes villes de la province de Donetsk, encore sous contrôle ukrainien. En matinée, elles se trouvaient à une dizaine de kilomètres de Siversk, qu'elles pilonnent depuis plusieurs jours, et donc à une cinquantaine de kilomètres de Sloviansk.
L'armée russe a affirmé mardi avoir bombardé deux postes de commandement ukrainiens à Donetsk.
Moscou enquête sur des cas de "tortures"
Dans le sud, Moscou a affirmé avoir abattu "un avion Su-25 et trois drones des forces ukrainiennes dans la région de Kherson", des affirmations impossibles à vérifier de source indépendante.
Un responsable russe issu des puissants services de renseignement (FSB) a pris la tête mardi du gouvernement de la zone occupée dans cette région par les forces russes, a annoncé l'administration locale.
Svetlana Petrenko, porte-parole du comité d'enquête russe
La Russie a par ailleurs déclaré mardi enquêter sur des tortures qu'auraient subies, selon elle, des soldats russes capturés par les forces ukrainiennes et libérés lors d'un échange de prisonniers avec l'Ukraine.
L'Ukraine et la Russie, qui ont procédé à plusieurs échanges de prisonniers, s'accusent mutuellement de mauvais traitements et de tortures sur des prisonniers.
Le ministère russe de la Défense a aussi affirmé mardi soir que dans la région de Donetsk, des "nationalistes" ukrainiens préparaient "une provocation avec l'utilisation de substances toxiques" - de grandes quantités de chlore amenées dans une station de filtration minée, selon le ministère.
Il a ajouté que l'armée ukrainienne utilisait des infrastructures chimiques pour y baser ses hommes et ses armes, créant "les conditions préalables à des accidents pouvant entraîner la mort de milliers de civils".
Déclaration de Lugano
C'est dans ce contexte que s'est achevé mardi soir une conférence internationale de deux jours à Lugano (Suisse) organisée pour tenter de dessiner les contours de la reconstruction de l'Ukraine, dont Kiev évalue le coût à 750 milliards de dollars.
Les responsables des pays alliés de l'Ukraine, des institutions internationales et le secteur privé, dans une photo de groupe à Lugano.
Des "fonds colossaux" nécessaires pour aider la population, reconstruire les villes et infrastructures détruites par la guerre, mais aussi "préparer les écoles et universités pour une nouvelle année scolaire" et "se préparer pour l’hiver", a souligné lundi soir le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
La déclaration adoptée mardi à Lugano indique que les signataires "s'engagent pleinement à soutenir l'Ukraine tout au long de son parcours".
"Le processus de rétablissement doit être transparent et responsable devant le peuple ukrainien", indique la déclaration, alors que la perspective de l'afflux de milliards de dollars d'aide inquiète, la corruption étant endémique dans le pays.
Dans son rapport 2021 sur la corruption, l'ONG Transparency International classait l'Ukraine 122e sur 180 pays, et la Russie 136e.
Le président helvétique, Ignazio Cassis (gauche), et le Premier ministre ukrainien, Denys Chmygal, à Lugano.
"Quand nous disons que nous sommes prêts à aller vite, nous voulons vraiment dire vite", a assuré le Premier ministre ukrainien, Denys Chmygal, venu à Lugano.
La conférence, qui a rassemblé des responsables des pays alliés de l'Ukraine, des institutions internationales et le secteur privé, avait été planifiée bien avant la guerre déclenchée le 24 février par l'invasion russe, et devait initialement porter sur les réformes en Ukraine - et notamment la lutte contre la corruption.
L'Otan lance le processus pour Helsinki et Stockholm
A Bruxelles, les 30 pays membres de l'Otan ont lancé mardi le processus de ratification pour les adhésions de la Suède et de la Finlande, qui permettra à l'Alliance d'organiser une ligne de défense unie de l'Arctique à la Méditerranée face aux menées russes, mais dépendra aussi du bon vouloir d'Ankara.
Le patron de l'Otan Jens Stoltenberg en compagnie des ministres des Affaires étrangères finlandais Pekka Haavisto et suédoise Ann Linde.
"A 32, nous serons encore plus forts (...) au moment où nous faisons face à la plus grave crise sécuritaire depuis des décennies", a souligné le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg. "Mais cela va prendre plusieurs mois".
Cargo russe
L'Ukraine appelle par ailleurs ses alliés à faire pression sur les compagnies maritimes pour qu'elles cessent de faire du transport de marchandises pour la Russie et de l'aider à écouler ses productions.
Le Zhibek Zholy, un cargo battant pavillon russe, est ainsi ancré depuis cinq jours au large de la Turquie, en mer Noire. L'Ukraine, qui accuse la Russie de voler ses récoltes de blé, affirme que le navire en transporte 7.000 tonnes obtenues illégalement. Une source diplomatique turque a affirmé mardi à l'AFP qu'une "inspection" était en cours à bord.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors de sa visioconférence mardi.
M. Zelensky a dénoncé mardi le rôle des entreprises grecques dans l'exportation du pétrole russe.
Il a également dit "croire" que le Bélarus, un allié de Moscou, ne se laisserait pas "entraîner" dans la guerre.
Une opinion partagée par Svetlana Tikhanovskaïa, cheffe de file de la dissidence bélarusse, qui "doute vraiment que les troupes bélarusses", qui sont "extrêmement démoralisées", "participent à l'invasion de l'Ukraine", une "nation amie".
Avec AFP
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