Elsa Dreisig ou le défi d’incarner Salomé
La soprano Elsa Dreisig s’apprête à relever le défi le plus difficile de sa carrière : interpréter Salomé non pas en femme fatale comme elle est souvent présentée, mais en adolescente à la fois « monstrueuse et innocente ».

Au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence (4-23 juillet), dans le sud de la France, la metteuse en scène allemande Andrea Breth présente à partir de mardi sa version de l’opéra de Richard Strauss, un succès dès sa création en 1905 qui continue de fasciner pour sa musique, son côté gore et sa danse des sept voiles. La soprano franco-danoise de 31 ans prête ses traits juvéniles à Salomé qui, dans le livret original, tiré de la pièce éponyme d’Oscar Wilde, est une adolescente. La princesse, convoitée par son beau-père Hérode et obsédée elle-même par le prophète Jochanaan (Jean-Baptiste), a en effet 16 ans. « Ce n’est pas un rôle qu’on donne d’habitude à une chanteuse de 30 ans, mais plutôt (à une soprano) au sommet de sa carrière, donc plutôt fin de trentaine », affirme Elsa Dreisig.

« Or, c’est une adolescente, et Andrea (Breth) a senti que l’histoire ne pouvait pas marcher avec une soprano plus âgée. Quant à moi, j’ai accepté d’être dans ce projet, car dès le départ, j’étais au courant que Salomé n’avait rien d’une femme fatale et qu’elle est plutôt fantasmée par les hommes autour d’elle », ajoute-t-elle.

Adolescente, mais pas innocente puisque Salomé, repoussée dans ses avances par le prophète emprisonné, profite que Hérode lui demande de danser pour lui pour qu’elle exige la tête de Jochanaan... qu’elle embrasse une fois décapité. « Je ne veux rendre Salomé ni victime, ni coupable... ni pure, ni complètement psychopathe. C’est très compliqué à jouer, mais c’est pour cela que le personnage fascine », précise Elsa Dreisig.


Danse fantasmée

Contrairement à d’autres personnages féminins dans le répertoire lyrique -- ingénues, séductrices, victimes --, « elle nous met face à des sentiments qu’on n’a pas l’habitude de ressentir à l’opéra », poursuit la chanteuse. « Elle est tout à fait intransigeante, alors que tous les autres personnages que j’ai chantés, ils acceptent toujours des compromis », souligne la soprano, qui a chanté dans La Traviata, Don Giovanni, Les Puritains, Cosi fan tutte et plus récemment Anna Bolena.

Elle compare Salomé aux adolescents qui grandissent sans codes ou autorité, ce qui peut les pousser à des extrêmes. « Elle est née dans un milieu qui ne lui a donné aucune valeur, aucune éthique, aucun amour. Sa mère Hérodiade est une perverse qui ne pense qu’à l’argent et à la gloire et utilise sa fille à ses propres fins, tandis que son beau-père la regarde beaucoup trop », poursuit Elsa Dreisig.

Une jeune fille prise donc dans un engrenage, plutôt que la séductrice sulfureuse longtemps fantasmée, notamment par des metteurs en scène hommes. « Il y a eu beaucoup de fantasmes autour de la danse des sept voiles », soutient Elsa Dreisig, en référence aux mises en scène où Salomé finit sa danse soit en tenue légère, soit complètement nue. « Salomé est séduisante bien sûr, mais elle est comme ces adolescentes dans la rue. Il y a un homme qui mate leur corps alors qu’elles ne font que marcher », affirme la chanteuse.
Malgré la complexité du rôle, Elsa Dreisig, dit « aimer le risque ». « J’aime m’aventurer dans des rôles qui sont comme des Graal. Mais je prends mon temps à répéter, je n’aime pas sentir que je cours après ma voix ! »
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