Lettres à Beyrouth, juste après (9) : Inspirer. De «inspiration».
Un, mille, dix mille os cassés. Qu’importe. Ils se ressoudent. Ils tiennent bon. Ou mal.
Une côte fêlée. Et l’on ne respire plus. Rose sans épines.
«Respire.»
Les mêmes mots raisonnent encore.
Dans l’intensité du moment. Atroce.
Respire.
Plus fort que la douleur. Les aiguilles. Les lames. Les bombes. Port-tuèrent.
Respire.
Surtout ne pas flancher.
Surtout ne pas trembler. Des lèvres ou des petits doigts. Serrer les poings. Cogner. Contre la mort. Contre la douleur. Contre l’oubli... et l’insoutenable légèreté des lettres.
Cogner plus fort. Et garder les yeux ouverts.
Pour exister. Plus haut que tout le chaos du monde que l’on porte en soi.

Imaginaire peut-être. Illusoire. Trompeur. Faux. Ingrat et toutes les dérivées modernes.
Surtout, surtout, bien protéger ce monde intérieur, pur... intact... Pour garder la force de rêver ! Plus fort que toutes les souillures, les violences de la Terre... le rêve ! Unique oasis... Et dire que près de notre mer salée et de nos larmes bleues, on meurt de soif tous les jours. Alors oui, ce monde Juste, au fin fond du diable ou d’un rêve éthéré, oui ! Il existe...
Plus loin que ces queues sans queue ni tête, à essence sans essentiel, dans le noir silencieux de la nuit, sans élec... tricité ou élec... tions... dans les jeux de piste de pharmacie en pharmacie, dans les anacondas derrière les guidons, les banques qui font banqueroute, nos restes de billets verts ou d’avion, nos réserves de chocolat ou de farine, nos insultes, nos cordes pendues dans le vide, nos blés brûlés et le cri étouffé de nos mères... celles qui voient tout, qui entendent tout, qui nous portent toute notre vie durant, et plus loin encore... celles qui bercent nos sanglots d’après minuit, pour que, même sans patrie, nous ne soyons jamais orphelins... Il existe ce rêve bleu, dans tout cela, plus fort que la méchanceté, la cruauté, l’égoïsme, la virulence des mots, le cannibalisme des hommes. -ou des femmes... et comment ! - Les bourreaux deviennent victimes. Et l’on tombe... avec le dernier rideau. Et dire que l’on a l’insolence de se relever encore pour... rêver.
À l’odeur des poubelles ou des déchets décomposés, au son des injustices irréfutables, à la vue des fourberies, des Godots ensorcelés, des rebelles asphyxiés, et de tout ce bourdonnement dans toutes nos têtes, dans la tienne et dans la mienne, aussi, je respire. Encore un coup. Inspire. Inspire. Inspire. De «inspiration». Il y aura un temps pour les expirations. Un jour. Au bout du rêve, du tunnel ou du fil à retordre. Maintenant, retiens.
En attendant, qu’importe les bras qui se baissent, d’avoir trop donné ou étreint, les corrompu(e)s, les faux Paris, les faux amis... Qu’importe. Je te porte encore en moi, au bout du rêve, sans illusions, toi, toi et tes 10452 Km2 de corps meurtri, de terre tant foulée, que je connais par cœur.
Là où j’ai planté mon drapeau et mon âme.
Toi, mon île, mon repère, mon seul, mon toit. Ma maison, mon rêve bleu, mon inspiration.
Oui je suis coupable.
Je crois encore en toi.
De tout mon cœur...
Inspire !
Beyrouth.
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