Les amours et le «zammour»
Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos nécessaires, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots, récupérer notre territoire.

Cet été, on se marie. Et après deux années d’annulations forcées, il faut bien se rattraper. Alors même si les Libanais ont revu à la baisse (pas tous) les extravagances des mariages, on se rattrape sur les détails champêtres, les idées simples mais belles et, bien sûr, les traditions indétrônables. Traditions revisitées, certes, mais qui puisent leurs longues racines dans notre histoire sociale aux multiples convenances et habitudes.

On peut changer de cadre, se marier à midi ou le soir, choisir le voile ou la robe courte, les paillettes ou le bobo chic, le mouton à la broche ou les sushis, il est des règles fondamentales auxquelles tout mariage libanais qui se respecte ne dérogera pas. Zaffé, cortège sonore, lancer de riz… comme pour tout pays, union rime avec tradition. D’hier à aujourd'hui, qu’est-il resté de nos coutumes?

Hier, il n’y a pas si longtemps, un mariage était l’affaire de tout le village et durait bien plus qu’une journée avec tout le cortège des traditions qui n’étaient absolument pas discutables. C’étaient souvent les marieuses ou oum el-haf, qui arrangeaient les unions avec l’accord des parents pour trouver, comme on disait, «le bon couvercle à la marmite». Gardiennes des amours ou entremetteuses, bonnes fées ou conspiratrices, elles savaient reconnaître les bons partis et nul ne songeait à remettre en question leurs choix.

Après l’accord sur la dot ou le mahr, ce que le futur époux amènera à sa promise, cette dernière, aidée par les femmes de sa famille, se charge de préparer son trousseau. On descend en ville acheter le nécessaire, les petites mains sont sollicitées pour coudre et broder et, du tarbouche à la babouche, aucun détail ne sera oublié. Si la dot est rarement encore de mise, le trousseau a su évoluer et remplacer les nappes et les draps brodés par de beaux habits tout neufs, une lingerie appropriée et tout ce que la crise économique permet d’acheter.



Semaine chargée

Fêtes données aux deux domiciles, visites de courtoisie, démonstration de porter du jurn el-kebbé, trousseau exposé et promise et promis pomponnés et apprêtés, la semaine précédant la cérémonie sera chargée. On se mariait le dimanche dans les villages, dans les mois suivant les travaux de labour et de semailles et, dès le matin, dabké, jeux d’adresse et tirs de joie réveillaient tout le monde. La mariée arrivait à cheval, flanquée de fiers-à-bras et portait sur son dos toute sa dot.

Si aujourd’hui la voiture rutilante a remplacé le cheval ou l’âne, il n’en reste pas moins que l’on continue à faire du bruit autour du cortège. Il faut bien sûr aussi arriver en retard au lieu de la cérémonie pour montrer que l’on n’est pas pressée de quitter ses parents. Les klaxons intempestifs à l’arrivée et au départ de l’église et le fait de prendre un chemin détourné, barmet el-arouss, tiennent leur origine du fait qu’il fallait tromper l’ennemi du village voisin ou d’une autre tribu qui serait tenté d’enlever purement et simplement la mariée et toute sa dot de pièces d’or cousues dans ses habits ou portées sur son front pour la marier à un des leurs.

De cette volonté de défendre le cortège et la mariée par une escorte massive est également née la zaffet el-arouss. Protéger la mariée en faisant le plus de bruit possible, en rassemblant les jeunes forts du village et en tapant sur des casseroles ou des tambourins, en poussant des cris de guerre ou en tirant en l’air, tout était bon pour dissuader quiconque songerait à faire du mal à la jeune fille. Et aujourd’hui, aucun mariage qui se respecte n’omettrait la zaffé à l’aide de tambours et de derbaké, de chants, de danse et de sourires, mais toujours aussi sonore même si personne ne songe plus à enlever personne.



«Zalaghit»

Ewiha! les zalaghit ou ululements des villageoises lors d’un mariage faisaient aussi partie du programme. Il fallait par ce faire et par des modulations répétitives reprises par l’assistance vanter la beauté de la jeune promise, les qualités morales et physiques du jeune promis, la respectabilité et l’honneur des deux familles. Les plus beaux compliments porteront sur la blancheur de la peau de la jeune fille, sa taille fine et la forme ronde et lunaire de son visage, et pour le jeune homme, sa richesse aussi bien matérielle qu’intérieure ainsi que sa grande culture. Lilililili, maîtriser la langue est nécessaire et aujourd’hui encore, souvent, la zalghouta met de l’entrain et de la joie et contrebalance l’aspect guindé de toute cérémonie.

Durant la cérémonie ou iklil, en référence aux couronnes que l’on met sur la tête des mariés et de leurs témoins, il est de bon ton de brûler le plus d’encens possible pour chasser malheurs et mauvais esprits et si vous voyez une femme de l’assistance se diriger avec une aiguille vers les époux, pas la peine de s’étonner. Il est, en effet, d’usage, d’après une coutume d’origine grecque, de coudre symboliquement par un fil sans nœud et le temps de la cérémonie, les habits des deux époux. La robe blanche que porte la mariée est une coutume assez récente, puisque auparavant la mariée se devait de revêtir le jour de son mariage le costume folklorique libanais de préférence de couleur bleu ou violet.

À la sortie de l'église, le lancer de riz, pratiqué depuis toujours, est encore de mise. Signes d’abondance et de fertilité, les graines de riz sont accompagnées ou remplacées par des pétales de rose et parfois des dragées. Autrefois, on jetait aussi du blé, signe de prospérité et de richesse. Mais, attention, pour garantir le bonheur total au couple, les grains de riz et autres doivent retomber autour des mariés et pas sur eux. Viser juste est donc un must.

Lâcher de colombes

Le lâcher de colombes autour du gâteau s’observe dans bon nombre de mariages libanais. La colombe, attribut d’Aphrodite déesse de l’amour, représente aussi l’innocence et la pureté, et la libérer serait comme envoyer vers Dieu un message céleste. Une superstition qui a la dent dure voudrait que si les oiseaux, une fois libérés, se dirigent vers la droite, les augures étaient bons, à gauche, moins prometteurs.

Mais quand les festivités du mariage sont finies, ce n’est pas encore fini. Côté traditions et superstitions, il faut encore réussir quelques étapes. Au seuil de la nouvelle maison, il faut rompre une rabta de pain toute chaude au-dessus de la tête des époux. Cela éloignera le mauvais œil et assurera un avenir prospère. Il faut également que la jeune épouse lance sur le haut de la porte un morceau de pâte à pain que lui donnera sa belle-mère. Elle a grand intérêt à ce que la pâte adhère pour que le couple soit heureux et ait beaucoup d’enfants. Elle entrera alors à reculons et du pied droit dans sa demeure ou portée par son époux, gage qu’elle s’engage à rester dans cette maison jusqu’à sa mort.

La vie à deux peut alors commencer. Avec en sourdine les mots de Gebran Khalil Gebran: «Aimez-vous l’un l’autre, mais ne faites pas de l’amour un carcan.»

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