Le torchon brûle entre Aoun et Mikati
Le bureau de presse du Premier ministre désigné a publié mercredi un communiqué accusant le tandem Aoun-Bassil de bloquer le processus de formation du gouvernement.

Un nouvel épisode dans le bras-de-fer engagé entre la présidence de la République et le Sérail autour de la composition du dernier cabinet du sexennat a été inauguré mercredi à la faveur d’une réponse acerbe du bureau du Premier ministre désigné Nagib Mikati aux «milieux de la présidence». Ces derniers avaient démenti des informations relayées mardi par «les cercles du Sérail» sur le fait que Baabda n’a pas donné suite à une demande de M. Mikati de prendre rendez-vous avec le chef de l’État. La demande avait été formulée il y a une semaine, le 5 juillet 2022. Or, dans un communiqué officiel mercredi, le bureau de Nagib Mikati a confirmé les atermoiements présidentiels et critiqué sans le nommer le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, pour son rôle dans le blocage.

Il y a comme un air de déjà-vu dans cette guéguerre entre les deux pôles de l’Exécutif. Elle n’est pas sans rappeler en particulier la guerre d’usure menée par Michel Aoun et Gebran Bassil contre l’ancien Premier ministre désigné Saad Hariri, pour l’obliger à se plier à leurs desiderata et le contraindre à mettre en place une équipe qui représente leurs propres aspirations politiques au moment où M. Hariri essayait de former un cabinet de technocrates indépendants. C’était en 2021. Le leader sunnite avait fini par démissionner il y a exactement un an, le 15 juillet, faute d’un accord avec le tandem Aoun-Bassil, neuf mois après sa désignation pour former la nouvelle équipe ministérielle qui devait succéder à celle de Hassane Diab. Quant au plan de redressement et aux réformes, ils attendent toujours et le naufrage libanais se poursuit.

Un an plus tard, les deux hommes semblent vouloir rééditer le même scénario en essayant de transformer Nagib Mikati en exécutant de leur volonté. Celle-ci se résume comme suit: obtenir la formation d’un gouvernement dans lequel ils seront prédominants avec leurs alliés, notamment à la tête des portefeuilles-clés, surtout si celui-ci doit assurer les prérogatives présidentielles en cas de vacance à la tête de l’État, en octobre prochain, avec la fin du mandat Aoun.

Or Najib Mikati ne l’entend pas de cette oreille. C’est ce qui l’aurait poussé à dévoiler sans trop attendre les manœuvres présidentielles en les dénonçant ouvertement, tout en laissant entendre qu’elles sont l’œuvre non pas du chef de l’État mais de son entourage.

Le communiqué du Sérail, a expliqué d’emblée son bureau, est censé répondre «aux informations et aux fuites attribuées depuis quelques jours à la présidence de la République et à ceux qui gravitent dans son orbite, concernant la personne du Premier ministre désigné, sa mission et par voie de conséquences ses rapports avec le chef de l’État».

«Nous vous rappellerons»

«Mardi dernier, le bureau du Premier ministre a pris contact avec le directeur du protocole au palais présidentiel, Nabil Chédid, pour prendre rendez-vous avec le chef de l’État. La réponse a été la suivante: «Nous vous rappellerons sous peu». Or jusqu’à maintenant, personne n’a rappelé», selon le texte qui précise: «Bien au contraire, des informations erronées ont été distribuées au sujet d’une médiation menée par un ministre qui s’est d’ailleurs empressé de les démentir ainsi que sur une réponse négative de Baabda au Sérail, ce qui n’est pas vrai non plus».

«Parallèlement, poursuit le bureau de M. Mikati, un communiqué a été publié par la présidence de la République pour annoncer que le chef de l’État «suit le processus de formation du gouvernement», alors que la question élémentaire qui s’impose est de savoir avec qui il le suit».


Il s’étonne de ce que le palais présidentiel «qui suit le moindre détail et qui fait les mises au point qui s’imposent lorsqu’elles se justifient, n’a jusqu’à présent fourni aucune explication et n’a publié aucun communiqué mettant les points sur les i. Bien au contraire, ce qui a été distribué à certains médias confirment les fuites».

Après cet exposé, le bureau de Nagib Mikati a insisté sur le fait que la formule gouvernementale que ce dernier avait proposée au chef de l’État «est le fruit d’une conviction qu’il a développée, sur base de données disponibles et des positions des groupes parlementaires et des leaderships politiques».

La première combinaison ministérielle rejetée par Michel Aoun correspond en gros à un remaniement de l’équipe actuelle puisque le Premier ministre désigné a proposé le maintien de la majorité des ministres à leurs postes, à l’exception toutefois de celui de l’Énergie, Walid Fayad, qu’il a voulu remplacer par Walid Sinno, un spécialiste du dossier, proche de lui, et des Finances à la tête duquel il avait proposé la désignation de Yassine Jaber, un ancien député proche du président de la Chambre Nabih Berry. Sauf que le CPL s’accroche à l’Énergie qu’il a géré pendant dix ans, avec les résultats lamentables qu’on connaît, alors que Nagib Mikati veut essentiellement réformer ce secteur dans le cadre de son plan de redressement. Le parti aouniste a vu dans la proposition du Premier ministre désigné une atteinte qui l’a fait monter au créneau. Depuis, M. Mikati est la cible d’un tir nourri de critiques adressées contre lui par Gebran Bassil, qui défend inlassablement le rôle de «partenaire à part entière» du chef de l’État dans le processus de formation du gouvernement.

Des conditions et des obstacles

Pas plus tard que mercredi, M. Bassil a accusé le Premier ministre désigné de ne pas vouloir de gouvernement. Ce que dément formellement ce dernier. «Les défis pressants auxquels le pays est confronté ne tolèrent aucun retard ou atermoiement dans la mise en place d’un gouvernement», souligne le communiqué de son bureau qui dénonce dans ce contexte «des conditions, des obstacles posés». «Les prétextes de partage de parts que certains essaient d’inventer parallèlement à des campagnes médiatiques ne changeront en rien les convictions et les choix du Premier ministre» désigné, toujours selon le texte qui stigmatise «une dégradation du discours politique» en référence «aux atteintes répétées des derniers jours à la fonction de Premier ministre». Il faisait ainsi allusion aux critiques de Gebran Bassil à son encontre.

Le Sérail a sans détours demandé à la présidence de la République de «mettre un terme à ces campagnes qui lui sont attribuées ainsi qu’aux ingérences de certains parmi son entourage», dans le processus de formation du gouvernement, toujours en allusion au chef du CPL.

Il s’est engagé à «poursuivre ses efforts pour briser le blocage», mais sans préciser par quel moyen. «Au lieu de se distraire par l’élaboration des scénarios des prochaines échéance (la présidentielle), certains feraient mieux de coopérer avec le Premier ministre désigné pour mettre en place un gouvernement, puis de coopérer conformément aux règles pour l’élection d’un nouveau chef de l’État dans les délais constitutionnels».

L’aggravation de la crise entre Nagib Mikati et le tandem Aoun-Bassil ne fait que conforter la thèse de tous ceux qui estiment que le Liban ne sera pas doté d’un gouvernement de sitôt et que c’est celui qui est chargé d’expédier les affaires courantes qui restera en fonction jusqu’à la fin du sexennat, le 31 octobre prochain.
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