Habitée par toutes les dimensions de l’art, Nelsy Massoud dirige d’une main de maitre durant cinq ans la galerie 392rmeil393 créé par Alfred Sursock Cochrane et Nayla Bassili à Gemmayzé. L’explosion du port de Beyrouth en 2020 met violemment fin à l’aventure. Mais plutôt que de basculer vers une fatalité que certains qualifieraient d’inhérente au ‘sexe faible’ dans un orient patriarcal, l’artiste bouillante se définissant volontiers comme une nomade rebondit aussitôt. Poursuivant inlassablement sa création, la mosaïste excelle dans la course effrénée vers l’éclat, notamment portée par la transparence du verre. Ses sculptures-Éponges contemporaines interpellent récemment autant que le courageux parcours de leur auteure.

Valoriser le travail des talents émergents est une mission relevée avec brio durant des années par Nelsy Massoud la galeriste ayant plusieurs plumes à son chapeau. La jeune femme, elle-même artiste autodidacte, modèle les matériaux de ses mains. Après quelque temps en Afrique, elle s’établit durant plus de vingt ans à New-York et devient l’indispensable assistante du maître mosaïste Val. La dynamique citoyenne du monde opte ensuite pour le Canada et y inaugure une galerie et un atelier de mosaïque. Cette période en Amérique du Nord la marque profondément ; elle y développe un riche visuel et une grande sensibilité. Évoluer dans des mégapoles occidentales acère forcément son œil, cultive son libre arbitre, forme son esprit.

Sa technique pertinente, maitrisée, légère explore l’univers infini de la mosaïque. Son leitmotiv consiste en l’expérimentation permanente. De retour au Liban en 2005, elle élargit son travail du verre coloré, irisé, fusionné en s’intéressant au sable, au bois, au métal ou encore à la résine, désormais l’une de ses substances favorites. La créatrice appose ses propres mélanges dans des moules et travaille les textures en profondeur. L’intention consiste à livrer des objets et des meubles sculptures en jouant sur la densité et la destination finale de pièces qui atteignent le statut d’œuvre à part entière. Après un mandat quinquennal à la tête de la galerie 392rmeil393, notre interlocutrice se consacre de nouveau entièrement à sa production artistique, et ce, après avoir échappé à la double explosion survenue au port de Beyrouth, qui a tué plus de 220 personnes. Depuis, ses blessures physiques ont cicatrisé, mais la livre libanaise poursuit sa chute, l’inflation se ressent douloureusement pour tous. S’ajoute à cela le rationnement en électricité. Malgré tout, l’infatigable opte pour une porte de sortie originale : rester et créer en forçant le destin, autrement dit travailler toujours plus dur… L’impact sur les personnes vulnérables est considérable, étant une femme et une artiste, notre héroïne saute par-dessus la case de la marginalisation et se considère à juste titre comme une amazone, se battant doublement !

Le succès ne tarde pas. Du 3 juin au 23 juillet 2022, Metamorphosis de Nelsy Massoud dialogue avec l’exposition " Yearning " de sa fidèle complice Azza Abo Rebieh à la galerie Saleh Barakat. Dans la lignée du travail d’Yves Klein, la sculptrice explore ici la couleur et la lumière d’un support inédit : le loffah, élément phare du patrimoine artisanal local. Celui-ci semblable à une chenille est délicatement peint. La truculente artiste fait ouvertement appel à l’évolution perpétuelle touchant chaque être vivant. Sa structure célèbre l’existence dans un rapport optimiste au présent. L’œuvre, très évocatrice de l’univers vivant et minéral, jouit de l’effet de suspension qui permet le mouvement spontané des éléments. L’installation poétique consacre avec justesse la métaphore de vie, Nelsy Massoud étant sans doute la poétesse des matériaux. Elle incarne littéralement son message en tenant le spectateur par la main et l’invitant à se réinventer à son tour. Le travail présenté s’impose comme un vecteur d’imprégnation, facilitant la transmission visuelle et émotionnelle. La couleur est aussi un élément participant à la dimension aérienne en ayant recours à des tonalités organiques.

Le dialogue artistique reste ouvert dans l’atelier de la jeune femme, toujours proche du public bien que déjà absorbée par de nouvelles recherches. Ses prospections explorent les différentes phases de la création artistique par le biais de la nature pour aboutir à l’évasion propice à l’imaginaire, si bénéfique dans un Liban qui étouffe sous le poids des crises.

Par Randa Sadaka, lauréate 2022 du prix " Social Impact Reporting Initiative " (SIRI) de WAN-IFRA/Women in News.

Cet article a été originalement publié sur le site de l’Agenda Culturel.

NELSY MASSOUD OU LE PLAIDOYER ARTISTIQUE NON-CONFORMISTE

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