Écoutez l’article

Organisée par le Museum of Fine Arts de Boston, en partenariat avec les Fine Arts Museums de San Francisco, Ansel Adams in Our Time présente plus de 100 œuvres qui couvrent l’extraordinaire carrière du photographe et écologiste Ansel Adams (1902 – 1984) au de Young Museum de San Francisco. On y voit certaines de ses photographies les plus populaires, notamment les célèbres paysages de Yosemite et du sud-ouest américain.

L’exposition du de Young ramène Adams dans la ville et le musée où il a lancé sa carrière, il y a près d’un siècle, et poursuit les conversations qu’il avait engagées sur la conservation des parcs nationaux. De fait, cette exposition le met en dialogue avec les photographes qui l’ont influencé – ses œuvres sont effectivement présentées aux côtés de tirages de photographes paysagistes du XIXe siècle tels que Carleton Watkins et Eadweard Muybridge. De même, elle le met en dialogue avec des artistes contemporains tels que Trevor Paglen, Will Wilson, Catherine Opie, Abelardo Morell, Binh Danh Mitch Epstein et Victoria Sambunaris et d’autres ayant un intérêt similaire pour la préservation et l’environnement naturel et dont le travail aborde, de manière renouvelée, les sujets qui ont occupé Adams tout au long de sa vie – sécheresse et mauvaise utilisation des ressources naturelles, incendies, récessions économiques et étalement urbain, et les sites qu’il a aimé photographier. Retour sur le parcours d’un photographe environnementaliste.

Adams naît dans une famille bourgeoise de San Francisco. C’est un enfant timide et hyperactif qui tombe souvent malade. À la mort de son grand-père, l’entreprise familiale est durement touchée par la crise bancaire de 1907 et, en 1912, le train de vie de la famille se réduit considérablement. Ansel Adams n’a jamais réussi à s’adapter dans les différentes écoles où ses parents l’ont envoyé, aussi son père décide-t-il de le déscolariser à l’âge de douze ans et se charge de son instruction. Adams prend également des leçons de piano. Ce dernier lui apporte discipline et structure, et informe profondément ce qui deviendra son art visuel.

Cette enfance quelque peu solitaire trouvera de la joie dans la nature et les longues promenades dans les étendues encore sauvages du Golden Gate. Mais tout change pour Ansel Adams lorsqu’en 1916, équipé du Brownie Kodak n°1 que ses parents lui ont donné, il se lance dans la photographie de la vallée de Yosemite, l’un des plus anciens parcs nationaux du pays, situé dans les montagnes de la Sierra Nevada. Ce parc qui fera partie du patrimoine mondial de l’UNESCO (1984) pour sa diversité naturelle et paysagère est, depuis le XIXe siècle, pris pour sujet par de nombreux peintres américains: Albert Bierstadt (1830-1902), Thomas Hill (1829-1908), Thomas Moran (1837-1926), Kenneth Callahan (1905-1986), etc. Le Yosemite devient célèbre aussi grâce aux photographies de George Fiske (1835-1918), Carleton Watkins (1829-1916), Ansel Adams lui-même ainsi qu’à de nombreuses lithographies.

De 1923 à 1930, comme d’autres photographes de l’époque, Adams réalise des photographies romantiques et floues de personnes et de paysages et se lie d’amitié avec de nombreux artistes de l’entourage d’Alfred Stieglitz, dont Paul Strand et Georgia O’Keefe. Strand influencera énormément Adams et l’encouragera à affiner son art. Mais quelque chose d’autre se produit ce 10 avril 1927, lors d’une excursion dans le parc national de Yosemite: alors qu’il se tient dans un angle sombre, regardant Half Dome, avec la caméra sur un trépied, Ansel Adams a une vision intérieure de son image et cherche, par les moyens techniques, à s’en rapprocher autant qu’il peut. Il applique d’abord un filtre jaune à l’objectif de sa caméra: le résultat est plutôt ordinaire. Il applique ensuite un filtre rouge, réglant l’exposition sur F/22 et exposant la plaque pendant cinq secondes: le ciel et la roche paraissent plus sombres, l’effet est plus intense, plus dramatique. Monolith, the Face of Half Dome (1927) correspond à un grand moment dans la carrière photographique d’Adams qui cherchera toujours à expérimenter les possibilités du médium. Parfois, il procède par balayage panoramique d’un paysage selon un point de vue omniscient. Souvent aussi, il place la ligne d’horizon haut dans le cadre pour transmettre l’échelle. Le Yosemite aura une importance majeure dans la formation d’Adams comme photographe qui développera une passion pour les paysages grandioses de l’Amérique. Ses vues panoramiques ont contribué à façonner l’identité du parc tout en le façonnant, lui, en tant que photographe.

Monolith, the Face of Half Dome, Yosemite National Park, California, 1927, The Metropolitan Museum of Art.

 

En 1932, au sommet de sa carrière, Adams rejoint d’autres photographes de la baie dans un nouveau mouvement qui prend ses distances avec le pictorialisme de la fin du XIXe siècle encore en pratique et place la photographie dans une trop grande proximité esthétique avec la peinture. Ce groupe de photographes, tels qu’Edward Weston, John Paul Edwards, Williard van Dyke, Imogen Cunningham, Paul strand et d’autres, s’appelle Groupe f/64, du nom de la plus petite ouverture relative disponible sur un objectif de chambre photographique de grand format. Cette ouverture permet d’obtenir une très grande profondeur de champ, et par conséquent une image entièrement nette, du premier à l’arrière-plan. Le choix de cette ouverture exclut donc de recourir à des effets de flou dans la composition d’une image.

Les membres du groupe entendent développer une forme de photographie indépendante des arts graphiques préexistants et qui ne serait définie que par les contraintes et les possibilités propres au médium photographique. L’accent est mis sur un style direct et réaliste qu’ils nomment photographie pure ("pure" ou "straight photography"); il s’agit de reproduire la réalité aussi précisément et objectivement que possible, sans lui faire subir les manipulations pratiquées par les pictorialistes. Les photographes du mouvement f/64 se libèrent donc de l’horizontalité au profit de la verticalité. Ils saisissent le monde d’une manière inédite (en contreplongée, par exemple, comme une nouvelle manière de voir le monde). Ils prennent pour sujets des objets banals du quotidien, des paysages ou de l’architecture. Ils introduisent dans leurs photographies des reflets, à l’aide de miroirs ou de vitrines. Leur ligne de conduite: fermer le diaphragme à son maximum – celui des chambres photographiques de l’époque – et capter avec la plus grande précision et les plus infimes détails les paysages, grâce à une profondeur de champ s’étendant du premier plan à l’infini.

Vers la fin des années 30, en collaboration avec Fred Archer, Adams développe le Zone system, procédé qui permet de déterminer l’exposition correcte ainsi que l’ajustement du contraste sur le tirage final. La profondeur et la clarté qui en résultent sont la marque de fabrique des photographies d’Ansel Adams et de ceux à qui il a enseigné la technique. Dans un premier temps, Adams utilisera des appareils photographiques grand format qui, malgré leur taille, leur poids, le temps de mise en place et le prix des films, sont un bon moyen, du fait de leur résolution élevée, de s’assurer du piqué de l’image.

Ansel Adams, ‘The Tetons and Snake River, Grand Teton National Park, Wyoming,’ 1942. (Courtesy Museum of Fine Arts, Boston)

 

Ansel Adams restera connu pour ses photographies époustouflantes en noir et blanc de l’Ouest américain. Réputée pour sa beauté formelle et ses prouesses techniques, la photographie d’Ansel est non moins connue pour sa dimension critique, celle d’un écologiste défenseur de la nature sauvage, qui comprenait parfaitement le pouvoir des images pour influencer l’opinion publique. Il consacrera une grande part de sa vie – et de son œuvre – aux parcs nationaux américains, contribuera à leur préservation et suscitera l’engouement du grand public pour la nature, incitant même à la création de nouveaux espaces protégés. Dans les années 1950 et 1960, Avec Nancy Newhall, il publie plusieurs livres et réalise des expositions importantes. L’ouvrage This is the American Earth (1960) est à l’origine d’un grand mouvement citoyen pour la défense de l’environnement. L’ensemble de ses photographies de parcs nationaux constitue en tout 24 albums.

Aujourd’hui, ces parcs sont en péril, pris entre des conditions météorologiques extrêmes et l’essor du tourisme. L’importance des foules de visiteurs et les installations de restauration touristique sont de plus en plus en contradiction avec les efforts de conservation, car les parcs dépassent leur capacité. Le travail d’Ansel Adams revêt donc le caractère d’une urgence renouvelée. L’exposition Ansel Adams in Our Time examine le rôle critique que la photographie a joué dans l’histoire des parcs nationaux; Adams y suit les traces de prédécesseurs tels que Carleton Watkins, dont les efforts ont contribué à statuer sur le caractère protégé de Yosemite. De même, le positionnement du travail d’Adams aux côtés de celui d’artistes environnementaux contemporains offre aux visiteurs un nouveau cadre de réflexion à la crise climatique et à l’importance de la conservation. Par ailleurs, il constitue un témoignage à la fois grandiose et intelligent de la manière dont l’héritage d’Adams continue d’inspirer et de provoquer, influence une certaine vision du paysage et opère comme une incitation à préserver l’environnement.

Ansel Adams, " Rain, Yosemite Valley, " California, about 1940 | Courtesy Museum of Fine Arts, Boston

Les cinq sections thématiques de l’exposition – "Capturing the View", "Marketing the View", "San Francisco: Becoming a Modernist", "Adams in the American Southwest" et "Picturing the National Parks" – ouvrent de nouvelles conversations autour du travail d’Adams et les relations que celle-ci établit entre la photographie, l’art, l’environnement et les conceptions du paysage. Tout cela est donc visible, jusqu’au 23 juillet, au de Young Museum, le plus ancien musée de Beaux-arts de San Francisco situé à l’intérieur du Golden Gate Park. Ce dernier regroupe par ailleurs plusieurs édifices et jardins, notamment le Jardin botanique de San Francisco, avec ses 7.500 espèces végétales, et surtout le jardin de thé japonais, situé près du de Young, où l’on peut méditer sous les pagodes, près des bonsaïs et des bassins.

Le de Young est principalement consacré aux collections américaines et à l’exposition d’artistes américains comme Edward Hopper, John Singer Sargent ou James Abbott McNeill Whistler. Le musée, construit en 1895, a été réhabilité en 2005 par l’agence d’architecture suisse Herzog & de Meuron dont les très nombreuses et considérables réalisations englobent notamment le bâtiment de la collection Goetz à Munich (1992), le magasin Prada de Tokyo (2003), le stade national de Pékin (2008) ou le Tate Modern à Londres (2000). L’architecture d’Herzog & de Meuron, caractérisée par la mise en relation de l’intérieur et de l’extérieur de façon aussi concrète que poétique, place effectivement le musée dans un écrin de végétation, diluant les limites entre le bâti et la nature.

 

Nayla Tamraz

[email protected]

Instagram : naylatamraz
Facebook : Nayla Tamraz
LinkedIn : Nayla Tamraz
Academia : Nayla Tamraz

 

Tags :

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !