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Le fléau tabou des violences conjugales sévit dans l’ombre en France. Plus de 200.000 femmes en sont victimes chaque année, mais seule une minorité ose briser le silence. Cependant, le documentaire Vivante(s) vise à faire voler en éclats ce mur du silence, en donnant la parole à celles qui ne sont pas entendues.

Le documentaire Vivante(s) met crûment en lumière le fléau des violences conjugales à travers le combat de Sarah Barukh, miraculeuse rescapée devenue militante infatigable pour la défense des victimes encore prisonnières de leurs bourreaux.

Dès les premières images, on découvre Sarah courant frénétiquement sur une plage déserte, comme un symbole de "sa fuite et sa force" face à l’enfer qu’elle a enduré, explique la réalisatrice Claire Lajeunie. Car Sarah, 43 ans, a réchappé de peu à la mort après avoir subi, pendant des années, les sévices psychologiques et physiques de son ex-mari. Une nuit de mars 2020, après un énième déchaînement de violence, elle prend enfin la fuite en catastrophe avec sa fille de 3 ans.

Commence alors un nouveau chapitre dans la vie de cette battante. Désormais, Sarah consacre chaque minute de son existence à combattre ce fléau des violences conjugales, encore bien trop tabou dans notre société. Pendant une année, la réalisatrice a pu suivre au plus près cette guerrière dans ses multiples projets, tous orientés vers le même objectif crucial: sensibiliser le grand public et "raconter les vies et pas seulement les morts" de ces innombrables femmes brisées dans leur chair et leur âme.

Car pour Sarah, pas question de les laisser sombrer dans l’oubli. "Qu’elles ne soient pas mortes pour rien", martèle-t-elle devant la caméra, bien décidée à faire bouger les lignes. C’est elle qui est à l’origine de l’ouvrage glaçant "125 et des milliers", publié début 2023, où 125 personnalités telles qu’Omar Sy ou Leïla Bekhti racontent la vie de 125 victimes de féminicides.

À travers le portrait intimiste de cette lanceuse d’alerte, le documentaire se veut aussi un "mode d’emploi" très concret, détaillant toutes les démarches juridiques et psychologiques à entreprendre pour se sortir de l’emprise d’un conjoint violent. On y voit ainsi Sarah intervenir avec conviction auprès de gendarmes ou dans des établissements scolaires pour expliquer les droits élémentaires des victimes.

Lors de sessions de sensibilisation en entreprise, elle n’hésite pas à rappeler qu’une femme victime de violence a parfaitement le droit de porter plainte ou même de visiter des appartements pour préparer sa fuite pendant ses heures de travail. Elle peut également débloquer son épargne salariale en cas de dépôt de plainte.

"Vous pouvez faire la meilleure campagne de prévention du monde, si elle est uniquement affichée dans un commissariat où les femmes n’osent pas se rendre, elle ne sert à rien!", martèle-t-elle. C’est avec ce pragmatisme qu’elle imagine désormais le "sac de départ": un petit sac anodin doté d’un QR code renvoyant vers une check-list des documents administratifs et effets personnels à emporter d’urgence pour les victimes sur le point de fuir leur domicile.

"Nathalie était partie précipitamment avec ses enfants… et elle s’est rendu compte que sa fille avait oublié son cahier de textes dans la maison. Nathalie y est retournée et c’est là que son mari l’a poignardée à mort", raconte Sarah, la gorge serrée.

Autre initiative potentiellement salvatrice: le test en ligne, "Suis-je victime de violence?", disponible en toute discrétion sur des sites web fréquentés comme celui de la marque de prêt-à-porter Sézane. Ainsi, l’historique de navigation de la femme qui le consulte paraît anodin, au cas où son conjoint contrôlerait son activité en ligne.

Parmi les dernières actions chocs lancées par la militante, le projet pilote "Une chambre à soi". Il s’agit d’hébergements sécurisés et gratuits, situés à proximité des brigades de gendarmerie, où les victimes et leurs enfants peuvent être logés pendant 24 h après avoir déposé leur plainte, le temps de préparer la suite.

Dans le tourbillon de ses combats, Sarah Barukh cherche aussi et surtout à redonner espoir aux oppressées du quotidien. Avec le projet "La vie sera belle", elle compile les témoignages de rescapées racontant concrètement comment elles ont réussi à se reconstruire après avoir fui leur bourreau.

Mais Sarah Barukh veut aussi en finir avec les clichés tenaces autour des violences conjugales. Écrivaine et fille de médecin, elle-même diplômée, elle a mis du temps à admettre qu’elle était victime de son mari, un terme qu’elle imaginait cantonné aux franges les plus vulnérables de la société.

"De la même façon, il n’existe pas de profil type de conjoint violent, insiste-t-elle. Le père de ma fille correspondait plutôt au gendre idéal: grand, beau, cultivé, drôle… je ne suis pas tombée amoureuse d’un monstre sanguinaire. La réalité des violences conjugales est bien plus insidieuse."

C’est ce message que Vivante(s) entend faire passer coûte que coûte pour libérer la parole et sauver des vies. Car derrière les chiffres effroyables des féminicides qui défrayent chaque semaine la chronique, il y a des mères, des filles, des sœurs qui aspirent simplement à vivre sans la peur au ventre.