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Nadine Labaki, réalisatrice, scénariste et actrice libanaise de renommée internationale, se lance dans une nouvelle aventure en siégeant cette année au sein du jury officiel des longs métrages du Festival de Cannes. Celle qui a déjà foulé la Croisette en tant que réalisatrice, membre du jury d’Un certain regard et lauréate du Prix du jury pour son film Capharnaüm, nous a accordé un entretien exclusif où elle revient sur ce nouveau rôle. Dans cet échange avec Ici Beyrouth, Labaki s’est confiée sur cette expérience unique de faire partie du jury appelé à décerner la prestigieuse Palme d’or, ainsi que sur son parcours cinématographique et sa vision du 7ᵉ art.

Les films de Nadine Labaki se caractérisent par leur profonde humanité, qui transparaît tant dans la trame narrative principale que dans les récits intimes des personnages. La réalisatrice libanaise excelle dans l’art de mettre en lumière ces destins individuels, qu’elle dépeint avec sensibilité et justesse. Ses œuvres, empreintes de couleurs vives et portées par des bandes originales mémorables, parviennent à toucher le spectateur en plein cœur. Labaki sait capter l’essence même de la condition humaine, avec ses joies, ses peines et ses espoirs, pour offrir un cinéma authentique et universel.

En tant qu’actrice, elle est touchante face à la caméra. Dans ses rencontres quotidiennes, elle garde les pieds sur terre, un esprit ouvert et une curiosité face aux êtres et aux films. Elle prend le temps de s’arrêter pour discuter avec les personnes qu’elle croise, ou pour s’oublier pendant deux heures dans une salle de cinéma, hors du temps et de l’espace, dans un moment suspendu, "volé à la vie".

Nadine Labaki – Prix du jury pour " Capharnaüm " Cannes 2018
Crédit photo: site officiel du festival de Cannes © François Silvestre De Sacy /FDC

Pour vous, "le cinéma est une expérience et une rencontre". Quelle rencontre faites-vous lorsque vous êtes de l’autre côté du film, en tant que membre du jury?

Pour moi, c’est une invitation dans un monde inconnu. Rencontrer les membres du jury ou visionner un film, c’est avant tout découvrir d’autres points de vue, des émotions, de la maturité et divers aspects de la nature humaine. C’est aussi aller à la rencontre d’autres cultures. Voilà ce que je recherche en général; le point de vue d’un autre réalisateur – ou réalisatrice –, ses obsessions ou ses besoins, ses perceptions.

Hormis la fierté de "porter le nom du Liban à l’international", quelle est l’émotion qui s’empare de vous lorsque vous tournez avec Fanny Ardant dans Retour en Alexandrie

Au départ, ce fut une rencontre avec une femme qui me fascine. Ce qui m’intéressait le plus dans ce projet, c’était non seulement de travailler avec Fanny Ardant, mais aussi de la comprendre au-delà du mythe, de la découvrir en tant que personne, de partager du temps et des moments captivants avec elle, d’échanger sur nos expériences de femmes, et sur la vie. Jouer pour moi, c’est figer l’instant éternellement sur l’écran, et ce fut l’occasion de suspendre ces moments avec Fanny Ardant.

Le Festival de Cannes occupe une place particulière dans votre parcours cinématographique. Vous y avez participé en tant que réalisatrice, puis en tant que membre du jury d’Un certain regard, et vous voilà désormais membre du jury officiel des longs métrages. Comment votre perception de cet événement a-t-elle évolué au fil de ces différentes expériences, et que représente pour vous le Festival de Cannes aujourd’hui ?

Je me rappelle tous ces moments difficiles passés à Cannes quand j’étais étudiante en cinéma, où tout semblait inaccessible. Cannes était alors un monde complètement hors de portée. J’y allais avec Zeina Sfeir, ma sœur Caroline Labaki et Jihad Hojeili, mon coscénariste. Nous étions en totale admiration devant cet univers inaccessible, où entrer dans une salle de cinéma était un privilège hors de portée. Au fil du temps, j’ai réalisé mon premier, mon deuxième, puis mon troisième film, et, à chaque fois, une nouvelle porte s’ouvrait. Je faisais une nouvelle rencontre, j’avais de nouvelles possibilités pour entrer dans ce monde et devenir membre de cette famille du cinéma mondial. Petit à petit, j’ai franchi les étapes… C’est impressionnant.

Nadine Labaki – Présidente du jury " Un Certain Regard "- Cannes 2019
Crédit photo: site officiel du festival de Cannes © Andreas Rentz / Getty Images

En tant que membre du jury du prestigieux Festival de Cannes, vous allez être amenée à visionner et à juger des œuvres cinématographiques provenant du monde entier. Comment appréhendez-vous cette responsabilité? Quelles émotions vous habitent à l’idée de prendre part à ce processus de sélection? 

Faire partie du jury, c’est un grand privilège. C’est la réalisation d’un rêve de petite fille passionnée de cinéma. C’est aussi une reconnaissance de mon travail. Cannes est l’un des plus grands festivals au monde, non seulement par son prestige, mais aussi parce qu’il est très sélectif: les films présentés sont généralement de grande qualité. Savoir qu’un film a été sélectionné à Cannes, qu’il fasse partie de la sélection officielle ou de la catégorie Un certain regard, attise ma curiosité. Ce tampon de qualité s’annonce souvent être une expérience enrichissante. Avoir une telle exposition pour un film est extraordinaire, grâce à la presse, aux producteurs, aux professionnels du cinéma du monde entier.

Nadine Labaki et Khaled Mouzanar.
Where do we go now Cannes 2011.

Que pensez-vous de la sélection officielle de cette édition?

La sélection officielle de cette année comprend de grands noms. J’ai hâte de découvrir les films de grands maîtres du cinéma tels que Yórgos Lánthimos, Paolo Sorrentino et Francis Ford Coppola. Je n’aime pas trop le terme "juger". C’est un honneur pour moi de pouvoir en débattre et échanger avec les autres membres du jury sur différents points de vue. On peut être fasciné par un film et découvrir en sortant de la salle que d’autres membres du jury ont des avis complètement différents. C’est toujours très intéressant de réaliser qu’il existe autant de perceptions différentes.

Votre parcours dans le monde du cinéma a été marqué par de nombreuses étapes : étudiante passionnée, puis réalisatrice, scénariste et actrice acclamée à travers le monde. Au fil de cette évolution, votre perception de cet espace si particulier qu’est la salle obscure a-t-elle changé? Y a-t-il des aspects de cette "bulle" cinématographique qui sont restés immuables à vos yeux, des constantes qui perdurent malgré les changements apportés par votre expérience grandissante?

La sacralité de la salle de cinéma est toujours la même; c’est une expérience spirituelle que de pénétrer dans cette bulle, dans cette salle obscure, d’être là juste pour regarder un film, sans autre distraction. C’est captivant d’être happé durant deux heures dans une expérience collective, car on ressent l’énergie des autres spectateurs. C’est véritablement un rituel collectif. Rien n’a changé pour moi. Je garde le même enthousiasme par rapport à cette expérience. Parfois, les émotions m’envahissent avant même que le film ne commence. J’accorde une grande importance à ce temps passé dans une salle de cinéma, car ce sont deux heures volées à notre quotidien, alors que nous sommes constamment pressés et sous stress. J’ai toujours envie d’être happée par ce trop-plein d’émotions, de découvertes, de sensations fortes d’une culture qui m’est inconnue et de pouvoir m’identifier à des personnages dans une expérience particulière qui, malgré le temps, n’a rien perdu de son éclat.

Nadine Labaki et le cast du film
" Caramel " Cannes 2007.

Le fait de faire du cinéma votre métier a-t-il émoussé la passion qui vous animait à vos débuts? Y a-t-il en vous une part de cet amour pour le 7e art qui demeure intacte et inaltérable?

Bien au contraire, la passion ne s’estompe pas avec le temps; il y a une connaissance de soi accrue et un savoir-faire technique qui émousse la peur. On est moins stressé et on se consacre entièrement au contenu. On prend plus de plaisir à raconter les histoires que l’on a envie de partager. Aussi, mon envie de découverte et ma fascination pour l’inconnu restent les mêmes. La curiosité n’a pas changé en moi. Je suis toujours très curieuse et naïve même face à l’inconnu.

Instagram: @mariechristine.tayah

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