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En partageant son savoir-faire avec six aspirants chefs d’orchestre libanais, Michaël Cousteau a inspiré un espoir nouveau à travers l’art et la culture, ultime rempart face à un obscurantisme galopant.

Énergie conquérante, geste ample mais retenu, direction confondante de naturel, Michaël Cousteau laisse l’auditeur en haleine. Servant la partition avec bon sens et sagesse, le chef d’orchestre français parvient à maintenir un niveau de tension palpable tout le long des deux œuvres qu’il dirige le 15 juillet à l’église Saint-Maron à Gemmayzé: le Larghetto de la Sérénade pour cordes en mi mineur, op. 20 d’Edward Elgar (1857-1934), et Unfinished Journey pour violon et orchestre à cordes de Bechara el-Khoury. Fort de ses années d’expertise, il porte une attention particulière à la structure du phrasé, le mélange des timbres et des couleurs, et par-dessus tout, l’interaction symbiotique entre les interprètes. Après avoir sillonné les quatre coins de la planète, ce pédagogue a jeté l’ancre au pays du Cèdre afin de livrer conseils et savoir-faire à six aspirants chefs d’orchestre libanais. À l’issue d’une intense semaine de travail, cette soirée musicale a brillamment clos la masterclass organisée par Beit Tabaris, une résidence d’artistes située au cœur même de Beyrouth, mettant en lumière ses derniers ainsi que le maître français.

Effervescence musicale

En dépit de l’ambiance estivale lénifiante, le public libanais a généreusement répondu à l’invitation. "Tu es la preuve même que le Liban survivra à l’ignorance, la décadence et la corruption", lance un des spectateurs à Zeina Saleh Kayali. Fondatrice de Beit Tabaris et instigatrice de cette effervescence musicale, cette dernière place désormais la barre haut. En moins d’un mois, elle a reçu tour à tour, dans sa résidence musicale, quatre artistes de renom, dispensant gracieusement des cours de maître de composition, de piano, de saxophone et enfin de direction d’orchestre. "La joie des jeunes musiciens qui participent aux masterclasses et les étoiles qui brillent dans leurs yeux sont un extraordinaire baume en ces temps d’angoisse et d’incertitude", affirme-t-elle avec émotion pour Ici Beyrouth. La musicographe souligne, en outre, que le chaos actuel devrait inciter les Libanais à se réfugier davantage dans l’art. "Les jeunes chefs qui, en une semaine, se sont retrouvés en train de diriger un orchestre, celui des Cordes résonnantes, dans une église pleine à craquer n’en revenaient pas!", raconte-t-elle, avant de conclure: "Je pense que ce projet leur donne de l’espoir."

Passion communicative

Renommée pour sa direction érudite tant du répertoire symphonique que lyrique, Michaël Cousteau restitue toutes les subtilités de la partition, proposant ainsi des interprétations d’une grande clarté narrative. Il sculpte ses mélodies tout en sublimant l’harmonie intrinsèque avec une passion communicative. "La direction d’orchestre doit avant tout être ancrée dans la réalité, déclare Michaël Cousteau dans un entretien accordé à Ici Beyrouth. Bien avant la satisfaction du public, la plus grande récompense pour un chef d’orchestre réside dans le sentiment d’avoir pleinement servi l’œuvre musicale. Ensuite, vient la satisfaction de la complicité avec l’orchestre et l’échange avec les musiciens. Et cela passe inévitablement par le fil que le chef tend entre ses mains et le son de l’orchestre." Un chef d’orchestre devrait, selon lui, jouer de l’orchestre comme un pianiste joue du piano. "Il doit influer le résultat sonore", insiste le pédagogue qui précise que bien qu’il y ait eu des générations de chefs formés de manière empirique, l’art de la direction d’orchestre passe indispensablement par l’apprentissage."Il existe même différentes écoles de direction", ajoute-t-il.

Terrain connu

Par ailleurs, la direction d’un orchestre et celle d’un chœur sont deux pratiques distinctes, chacune ayant ses propres spécificités et ne pouvant être confondues. Pourquoi?  "La direction d’orchestre impose des contraintes qui diffèrent totalement de celles de la direction de chœur, explique-t-il. En direction de chœur, on fait face à un matériau homogène – les voix, tandis qu’en direction d’orchestre, le matériau est hétérogène. Les exigences imposées par une partition orchestrale sont beaucoup plus complexes que celles d’une partition chorale. C’est donc un savoir-faire qui est autre." Et de poursuivre: "Un chef de chœur ne saurait être systématiquement un chef d’orchestre."  Ayant dirigé divers orchestres aussi bien en Europe et en Russie qu’en Asie et en Amérique du Sud, Michaël Cousteau revient sur sa relation avec le pays du Cèdre: "Entre 2014 et 2016, j’ai été invité à diriger l’Orchestre philharmonique du Liban. C’était quelque peu un terrain connu. Les musiciens libanais étaient en partie formés à l’Est mais étaient finalement méditerranéens, avec qui j’ai l’habitude de travailler. De plus, j’ai également retrouvé au sein de cet orchestre plusieurs musiciens de l’Est que je connaissais déjà. Cette expérience n’a pas du tout été dépaysante."

Violoncelliste de formation, le musicien français fait remarquer que bien que le Liban soit un pays du Levant, il est fortement imprégné de culture occidentale. Il reconnaît qu’il y avait du "chemin à faire avec l’Orchestre philharmonique du Liban", mais "pas plus qu’ailleurs". Michaël Cousteau se dit "optimiste" en constatant que malgré les diverses crises secouant le Liban, la culture conserve une place prépondérante: "Je me demande si, en France, dans une situation économique aussi difficile, on accorderait autant d’importance à la culture et à l’art qu’au Liban", lance-t-il avec humour avant de conclure: Malgré le fait que l’État libanais n’existe presque plus, les concerts ne sont pas rares. On m’a souvent dit que l’art pourrait sauver le Liban, et j’en suis convaincu".