Dans le cadre de Beirut Art Days, la galerie no/mad utopia, fondée par Marie-Mathilde Jaber, présente À Corps perdu, une exposition de Sirine Germani en dialogue avec Shawki Youssef. Une conversation entre les artistes, modérée par Marie Tomb, aura lieu le 25 juillet à 18h, suivie d’un verre dans le jardin de la galerie à Gemmayzé.

Depuis sa création en 2022 par Marie-Mathilde Jaber, no/mad utopia met en avant des artistes de la région MENA, avec un accent particulier sur le Liban. La participation de la galerie à Beirut Art Days était donc incontournable. Cette initiative, particulièrement pertinente dans le contexte actuel, envoie un message fort et démontre une fois de plus la vitalité culturelle du Liban.

L’exposition À Corps perdu est un dialogue artistique permettant de découvrir le travail de Sirine Germani, exposant pour la première fois au Liban, ainsi que les dernières œuvres de Shawki Youssef. Leur travail explore la relation au corps, un thème central pour ces deux artistes.

Marie Tomb, la commissaire de l’exposition, décrit À Corps perdu comme une exploration de notre relation avec nos corps et de notre rencontre de ceux des autres. Selon elle, Sirine Germani et Shawki Youssef illustrent la tension entre l’abandon et l’immersion à travers des figures humaines qui s’abandonnent au paysage pictural. Tomb explique que les artistes mettent en exergue l’essence culturelle, émotionnelle et politique du corps humain, en explorant ses multiples strates de signification, depuis la perte totale jusqu’à l’engagement intense, et la lutte pour atteindre une paix insaisissable.

"Sirine Germani et Shawki Youssef construisent des mondes où le corps est à la fois chair et mythe, et nous rappellent les liens profonds entre l’être humain et la nature, arrachant le corps à la pression socioculturelle et politique pour le ramener plus près de son environnement d’origine. Les matières organiques et inorganiques, du floral au minéral en passant par de vastes étendues évoquant la mer, le sable et les terres fertiles, se confondent avec les vestiges de ce que nous sommes", explique-t-elle.

Marie Tomb souligne que les deux artistes mettent en lumière notre besoin viscéral de connexion physique, avec des corps éminemment tactiles, mais aussi meurtris, broyés sous la pression et pliés à de nombreuses reprises. Ce qui est familier devient plus hypothétique, hésitant et effrayant que jamais, en réaction à une époque qui nous confronte à un défilé incessant de corps qui suscitent des réactions émotionnelles instinctives et des commentaires faciles. Nous jugeons avec les yeux et les oreilles depuis le confort de notre canapé, zappant, cliquant et changeant de chaîne à notre guise, toutes les quelques secondes.

Selon Marie Tomb, Sirine Germani dégage des sentiments bruts; elle insuffle de l’intensité à ses figures en les mutilant systématiquement. Cependant, ces figures résistent avec mélancolie et rage, leurs émotions exacerbées, palpitant de passion mais interrompues dans leur élan. Elle les reforme avec un regard féminin, consciente de la violence exercée sur le corps, dans ses représentations stéréotypées. Elle exige la fin de la souffrance. Des éléments inorganiques, représentant le regard masculin, apparaissent comme des traces, et leur trajectoire se fige en se cristallisant à la surface des œuvres.

Sirine Germani Poppy 2024 huile et fusain sur papier 100×150 cm.

Quant à Shawki Youssef, il atténue l’émotion dans ses paysages-corps post-humains qui dissolvent les frontières entre la chair et la nature. Dans ses univers, des formes organiques se transforment en éléments topographiques, brouillant les frontières entre le tangible et le fantomatique, entre la peinture et la sculpture. Il souligne la fragilité de la matière avec ses surfaces rugueuses, stratifiées et pliées qui fusionnent les unes aux autres. Ce procédé évoque un sens de l’Histoire et une conscience de la transformation perpétuelle et apparemment linéaire de notre monde. Il propose en contrepartie un processus serein de vieillissement et de renouvellement où les royaumes animal, végétal et minéral ne font qu’un.

Pour la commissaire de l’exposition, dans À Corps perdu, la superposition, l’effacement et la reconstruction de la forme humaine pourraient être perçus comme un écho aux schémas qui affectent notre pays, ou un appel à une considération moins hâtive des corps dont nous consommons les représentations de manière plus rapide et moins attentive que nous ne le pensons.

L’exposition se poursuit jusqu’au 26 juillet.