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À travers différentes œuvres musicales, les compositeurs de musique d’art occidentale ont dépeint les tragédies de la guerre, tout en lançant un cri d’espoir pour une paix de plus en plus manquée. Le premier article de ce dossier se penchera sur trois pièces de Beethoven, à l’occasion du bicentenaire de la création de sa 9e Symphonie.

La guerre demeure omniprésente à travers le monde. Un état de fait, dirait l’un; une bataille au nom de Dieu, dirait l’autre. Mais qu’importe. On aura beau tenter de parer ces bains de sang des oripeaux de la justice ou de la sainteté, ils resteront invariablement macabres. Une ombre menaçante, où se mêlent l’horreur et la désolation, la ruine et le chaos. Tout dessein, aussi noble soit-il, enrobé de poudre et de feu, s’égare et perd aussitôt sa légitimité. La vérité et la justice ne sauraient être imposées par la violence et le sang. Telle est la vision qu’ont tenté de promouvoir de nombreux compositeurs de musique d’art occidentale, au fil des siècles. Leurs créations dépeignent ainsi la brutalité de ces guerres insatiables, en mettant à nu la cruauté humaine. Ce dossier mettra en lumière deux compositeurs majeurs qui ont exprimé de manière profonde leurs réflexions sur la guerre: Ludwig van Beethoven (1770-1827) et Dmitri Chostakovitch (1906-1975).

Spatialisation dynamique 

Le thème de la guerre a été traité musicalement par Beethoven à trois reprises, à commencer par la Bataille de Vitoria op. 91, en 1813. À cette époque, l’Europe était en proie aux guerres napoléoniennes, un conflit qui a profondément affecté la vie quotidienne et culturelle du maître allemand, ainsi que celle de ses contemporains. Beethoven était un fervent défenseur des idéaux de liberté et d’indépendance nationale et la défaite de Napoléon à Vitoria représentait un tournant crucial dans la lutte contre l’expansionnisme impérial français. Dans cette œuvre, il met en scène deux armées qui se combattent, chacune représentée par un thème musical. L’armée anglaise l’est naturellement par l’hymne God Save the King. Pour l’armée française, comme il était impensable pour Beethoven de profaner La Marseillaise, symbole de son idéal révolutionnaire, il a utilisé, dérisoirement, la chanson populaire Malborough sen va-t-en guerre.

"Dans cette œuvre, non seulement Beethoven utilise un orchestre élargi (tambours, grosses caisses, canons, etc.), mais il demande et met en œuvre une spatialisation des sources sonores", indique le musicologue français, Bernard Fournier, éminent spécialiste de l’œuvre beethovénienne. Par exemple, pendant l’assaut (Sturm Marsch), les tambours anglais pénètrent peu à peu du côté français. "Cette œuvre ‘spatialisante’ instaure un programme de spatialisation dynamique", insiste l’expert en précisant: "L’illusion du mouvement est donnée non seulement par le crescendo (comme dans Fidelio pour la trompette du ministre qui, en coulisse joue d’abord piano puis forte), mais par le déplacement de certains instrumentistes qui passent d’un côté à l’autre de l’orchestre." Même dans cette œuvre mineure, Beethoven se montre novateur.

De la guerre à la joie

Après cette représentation musicale réaliste de la guerre, Beethoven crée avec le deuxième mouvement de la 9e Symphonie – dont on célèbre cette année le bicentenaire de sa création –  une image métaphorique de la guerre. "Après un premier mouvement (Allegro ma non troppo, un poco maestoso) dramatisant où s’expriment la douleur et l’angoisse qui culminent dans la quasi-marche funèbre de la coda, le Scherzo (Molto vivace) traduit l’énergie de cette sorte de guerre qu’est la lutte pour surmonter l’adversité", souligne le musicologue en décortiquant la titanesque symphonie en ré mineur. Les timbales, avec leur connotation combative, jouent un rôle fondamental dans cette épreuve grâce à leur rôle thématique. La cellule rythmique qu’elles énoncent au tout début parcourt tout le mouvement, se répétant de manière obsédante pendant une longue séquence.

"Après les variations doubles du troisième mouvement (Adagio molto e cantabile – Andante moderato) qui apportent l’apaisement et la sérénité après le combat, vient le Finale dont la première partie orchestrale rejette tour à tour, au cours d’un récitatif des cordes graves les Stimmungen ("états d’âme" en allemand, NDLR) principales des mouvements précédents – la douleur, le combat, la paix – pour faire éclater la joie", explique Bernard Fournier. Beethoven utilise alors un chœur et quatre solistes pour interpréter le poème de Friedrich Schiller (1759-1805), où cette joie est célébrée comme un lien universel entre tous les êtres humains. Elle sera chantée au fil de nombreuses variations qui en déclinent différentes facettes. Exprimant des idéaux de fraternité et d’unité humaine, la 9e Symphonie demeure l’une des compositions les plus célèbres et les plus influentes du génie de Bonn.

Dans la vidéo ci-dessous, le chef d’orchestre suédois, Herbert Blomstedt (qui vient de fêter ses 97 ans le 11 juillet dernier), actuellement le doyen des chefs d’orchestre, dirige l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig.

Paix extérieure et intérieure

"Mais la présence la plus impressionnante de la guerre dans l’œuvre de Beethoven se trouve dans le Dona nobis pacem ("Accorde-nous la paix ") de la Missa Solemnis traversé par deux épisodes représentant respectivement la guerre et le trouble intérieur", affirme le musicologue octogénaire. Beethoven intitule d’ailleurs cette deuxième partie de son Agnus Dei: "Prière pour la paix extérieure et intérieure." Selon Bernard Fournier, la demande de paix extérieure émerge de la section guerrière du Dona nobis pacem par une sorte de cri poussé par la soprano solo qui fait suite à une représentation terrifiante de la guerre grâce à un usage approprié des trompettes et des timbales. On retrouvera un écho de cette guerre dans la coda où les roulements de timbale réémergent in fine comme un bruit sourd et lointain qui laisse entendre que la guerre extérieure n’est pas vraiment terminée malgré les poignants appels du Dona nobis pacem et qu’il faut continuer à prier.

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