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Le contraste saisissant entre le paradis et l’enfer est une source inépuisable d’inspiration artistique, où la promesse d’une rédemption éternelle se heurte à la désolation ultime des ténèbres. Dans le premier article de cette série, on abordera, à travers trois œuvres, la nuit des tourments infinis.

"Vous qui entrez, laissez toute espérance". Cette injonction funeste orne le portail de l’enfer dans La Divine comédie de Dante Alighieri (1265-1321). Elle avertit les âmes s’apprêtant à franchir le seuil du royaume des ténèbres et des tourments éternels que tout espoir de rédemption ou de délivrance se dissipera dès leur entrée. Une désolation infinie prendra aussitôt place, les condamnant à une errance perpétuelle parmi les ombres déchues. Dans le Jugement dernier, fresque ornant le mur de l’autel de la chapelle Sixtine à Rome, Michel-Ange dresse une scène terrifiante où les damnés sont emportés par des démons voraces et tourmentés dans un tourbillon chaotique. Les corps se tordent dans une danse macabre, et le contraste entre la lumière divine et les ténèbres infernales accentue l’irréversibilité de leur chute. Dans ce gouffre, les braises incandescentes crépitent avec un bruit effroyable. Glacial. Les flammes cramoisies et orangées de la désespérance s’élèvent tels des serpents acharnés, se contorsionnent et se meuvent sans aucun répit, dévorant tout sur leur passage. L’atmosphère est, dès lors, imprégnée d’une odeur âcre de soufre, de décomposition et de regret. Ainsi des âmes se voient englouties dans un crépuscule vorace, cauchemardesque, impitoyable.

Plusieurs compositeurs ont cherché à exprimer en musique l’effroi et la désolation de l’enfer, dépeignant ainsi l’angoisse éternelle de cette chute dans le royaume de la damnation. Dans cet article, on retiendra trois chefs-d’œuvre: la Fantasia quasi Sonata de Franz Liszt (1811-1886), Orphée aux Enfers de Jacques Offenbach (1819-1880) et Danse macabre de Camille Saint-Saëns (1835-1921).

Scènes d’angoisse

Contrairement aux sonates classiques qui suivent une structure en plusieurs mouvements distincts, la Fantasia quasi Sonata de Liszt est conçue comme une seule unité continue, bien que divisée en deux parties principales. Elle est publiée en 1858 par Schott comme septième et dernière pièce du deuxième volume (Italie) des Années de pèlerinage du compositeur hongrois. Son titre final, Après une lecture de Dante: Fantasia quasi Sonata, s’inspire du poème presque éponyme- Après une lecture de Dante – de Victor Hugo (1802-1885), extrait de la collection Les Voix intérieures (1837). Le choix de Liszt d’utiliser "du" plutôt que  "de " semble intentionnel. Il reflète la pratique allemande consistant à employer l’article défini pour désigner une personne célèbre et tente de transposer cette notion en français. L’œuvre commence par une introduction sombre et mystérieuse, suivie d’un développement complexe qui incorpore des thèmes variés et des modulations audacieuses qui reflètent les aspirations romantiques de Liszt. Le motif d’ouverture reviendra à plusieurs reprises tout au long de la pièce.

Cette première partie est fortement marquée par une mélancolie et une introspection qui rappellent les scènes d’angoisse et de réflexion sur le destin humain que l’on trouve dans l’Enfer et le Purgatoire de Dante. La deuxième partie illustre, en revanche, l’ascension spirituelle et la rédemption, faisant écho à la vision du Paradis dans la Divine comédie. Le contraste entre les deux thèmes reflète le passage de l’obscurité à la lumière, une transition que Dante explore dans son voyage à travers les différents royaumes de l’au-delà. Liszt traita ce même sujet dans sa célèbre Dante-Symphonie (1857), dédiée à son ami et futur gendre, Richard Wagner (1813-1883).

Quête du plaisir

Orphée aux Enfers est un opéra bouffe en deux actes d’Offenbach, créé en 1858. Cette œuvre est une parodie de la légende d’Orphée et Eurydice, introduisant un style satirique et humoristique à l’histoire mythologique classique. Orphée, un piètre violoniste, et sa femme Eurydice se détestent cordialement. Lassée de la monotonie de son mariage, Eurydice tente de séduire Aristée, qui s’avère être Pluton, le seigneur des Enfers, déguisé. Ce dernier lui tend un piège et l’emmène dans son sombre royaume infernal. "Je quitte la maison parce que je suis morte, Aristée est Pluton, et le diable m’emporte", écrit Eurydice en ultime message à Orphée. Tandis que celui-ci se réjouit secrètement de la mort de sa femme qu’il déteste, l’opinion publique le rappelle à l’ordre et l’exhorte à partir en quête de son épouse jusque dans les profondeurs des Enfers: "Viens! C’est l’honneur qui t’appelle!" La crise du couple mythique devient rapidement contagieuse, entraînant une révolte sur l’Olympe et une décadence des Enfers. En tournant en dérision le mythe sacré d’Orphée, Offenbach critique, avec une insouciance caustique, l’hypocrisie et la quête du plaisir effrénée de son époque.

Le Galop infernal d’Orphée aux Enfers, souvent connu sous le nom de Cancan, est probablement la musique la plus emblématique de cet opéra bouffe.

Danse macabre

La Danse macabre de Saint-Saëns est un poème symphonique composé en 1874 qui évoque la danse des morts, un thème populaire au Moyen Âge qui symbolise la fragilité de la vie et l’inévitabilité de la mort. L’œuvre commence par le son d’un violon désaccordé, qui incarne la Mort elle-même, jouant un air sinistre pour réveiller les morts dans leurs tombes. Cette introduction est suivie par l’entrée des xylophones, imitant le bruit des os qui s’entrechoquent. Les instruments à cordes et les percussions se joignent progressivement, évoquant un cortège de squelettes qui se mettent à danser dans une frénésie macabre. Le rythme de valse, à trois temps, renforce le caractère à la fois enjoué et sinistre de la pièce, tandis que des variations de tempo et de dynamique créent une tension croissante. Le violon solo, jouant en harmoniques, ajoute une touche lugubre et aérienne, comme un écho des rires des morts qui tournoient sous la lumière pâle de la lune. Vers la fin, les coups du clocher annoncent l’aube, et la danse s’estompe progressivement, les morts retournant dans leurs tombes. Le sabbat est terminé.

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