Un matin d’hiver, comme chaque semaine à la même heure, j’attendais un patient que j’apprécie beaucoup, et que je désire sincèrement voir s’avancer vers sa guérison, celle qu’il choisira comme réalisant sa propre vision du bonheur. "Un patient que j’apprécie beaucoup" est pour moi une sorte de pléonasme, tant le lien psychanalytique produit avec naturel, presqu’avec grâce, un respect singulier comme une forme d’affection.
Ce patient est venu me voir après être tombé sur une interview télévisée autour de mon livre, "La vie augmentée", au sein de la chronique santé du Docteur Brigitte Milhau (LCI). Celle-ci m’avait demandé de raconter la fable intitulée La grenouille et le scorpion, que je développe dans l’introduction du livre. L’idée, surréaliste, que la psychanalyse puisse guérir le scorpion du pire en lui-même avait plu à cet homme.

"Mon cerveau, dysfonctionnel, génère en permanence des ressentis de déception ou de vide, et mon corps, qui ne vit que de sensations fortes, exige ses doses. Alors comment je sors du cercle infernal maladif: sentiment de néant et addictions solidement intriqués?" a dit cet homme ce mardi-là. Je lui ai répondu: "La principale et peut-être unique chose dont vous soyez malade procède d’une croyance. Vous vous pensez comme séparé de votre corps, et même séparé de votre cerveau. Dès lors, vous vous sentez l’objet de systèmes sur lesquels vous n’avez aucun contrôle".

Comment guérit-on (d’) une croyance? La démarche psychanalytique la met à jour et la soumet à la faculté de juger de son auteur, afin que des significations nouvelles, des constructions logiques revisitées et, par suite, des affects différents puissent émerger.

Et parfois, tel un accélérateur du changement, un petit miracle survient au cœur du processus. La magie s’y manifeste, magie de l’inconscient, de l’âme, ou de l’Esprit divin: chacun lui donnera son nom. Ici, elle a surgi dans la plus tendre, la plus exacte des poésies.

Ce patient, qui semblait véritablement emmuré dans sa croyance, en énonçait encore une douloureuse variante: "Comme le prouve mon histoire amoureuse, mon cerveau me pousse uniquement vers des relations néfastes, donc vers les pires rencontres". Alors je lui ai dit: "Vous pouvez certes vous conformer à ce programme, qui présente l’avantage du connu. Mais vous pouvez aussi choisir une belle rencontre, celle qui répondrait à la plus belle partie de vous-même. Cette partie, qui existe assurément, l’autoriserez-vous à s’exprimer enfin?".

Trois jours après cette séance – non pas un certain temps ou plusieurs semaines plus tard, mais précisément trois jours après cette séance – la lumineuse rencontre s’est produite.

À cet homme, aussi magicien que l’est, en puissance, tout être humain, je dédie le premier extrait du chapitre 1 de mon livre, "Sortir d’une position de malade".

"Face au monde qui bouge, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement". Francis Blanche, l’humoriste, scénariste et poète, est celui qui, "face au monde qui bouge" et aux péripéties de l’existence humaine, a inventé, avec son complice Pierre Dac, un parti politique, "le parti d’en rire". Pour autant, le message de son mot d’esprit a une portée du plus grand sérieux: Conforter un être humain dans sa position de malade, ou dans sa peur de l’être, constitue le plus sûr moyen de le conduire au malaise, à la dépendance, à l’angoisse durable ou au désespoir.

Lorsqu’au cours de la première séance, les patients se décrivent comme malades, cette représentation d’eux-mêmes a souvent une longue histoire (…). Ce que l’on vient dire en psychanalyse relève toujours, selon l’expression de Lacan, de "l’impossible à supporter". Un psychanalyste est d’abord celui qui accueille et entend l’impossible à supporter. Il n’intervient ni pour consoler son patient à bon compte, ni pour le conditionner à aller mieux, ni pour résoudre ses dilemmes par des solutions toutes faites. Il l’invite, au contraire, à déployer le discours de l’insupportable. Il l’encourage à exprimer les replis de son angoisse, l’ampleur de sa peine, respectant son temps et ses sentiments, afin que ceux-ci se transforment de l’intérieur. Progressivement, la plainte peut alors devenir interrogation (…) sur sa vérité la plus profonde et parfois la plus inconnue. L’entrée en analyse est ce passage au désir de savoir.

Le patient éprouvera alors qu’il existe une jouissance (un plaisir) propre à la parole et au savoir produit dans une analyse. Il éprouvera aussi que, pour tout être humain, la justesse des solutions élaborées à partir des mystères de la vérité inconsciente s’accompagne d’une paix et d’une fierté qu’aucun traitement médical (s’il relève, métaphoriquement, du pansement stérile) ne peut procurer.

À l’opposé de toute fatalité morbide, la psychanalyse épouse d’abord la sagesse la plus simple qui nous rappelle ceci: Une vie est à la fois riche de possibles et jalonnée d’épreuves. La souffrance morale constitue l’affect, universel, puis dépassable, de l’épreuve.

Le "gai savoir", la surprenante fécondité de la parole, le potentiel de guérison qu’elle contient, la puissance du désir humain, la prodigieuse capacité d’invention du sujet, c’est ce que la psychanalyse oppose aux tenants de la médicalisation d’un corps et d’un psychisme muets. Laissons le dernier mot à Gandhi: "La vie est un mystère qu’il faut vivre et non un problème à traiter".

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