On rappelle souvent au Liban que d’autres pays ont connu aussi des crises financières. En réalité, on les a dépassés grâce à l’inertie étatique, alors que des mesures correctives ailleurs ont été rapides et efficaces. Jetons dans ce premier volet un regard sur Chypre, qui a frôlé l’écroulement en 2012-2013.

Le cas de Chypre est remarquable. Le poids du secteur bancaire était colossal, plus du double de la moyenne européenne, et près de la moitié des dépôts étaient détenus par des étrangers, principalement des Russes.

Chypre a su attirer les dépôts en raison de ses faibles taux d’imposition et de ses systèmes attractifs, de quoi encourager les épargnants de tous pays, et surtout des oligarques russes, à apporter leur argent aux banques chypriotes. Mais alors, comment une économie aussi idyllique a-t-elle pu friser la faillite?

À l’époque de son adhésion à la zone euro en 2008, l’île méditerranéenne était gérée par un gouvernement à tendance gauchisante qui a entrepris d’augmenter les dépenses publiques et sociales de façon exagérée, alors que les recettes baissaient, provoquant un profond déficit fiscal.

Fin 2009, la crise grecque éclate, suscitant la panique puisque les économies grecque et chypriote sont étroitement liées. Alors que l’économie grecque sombre dans une profonde récession, les inquiétudes concernant les opérations bancaires chypriotes augmentent. Les banques de Chypre avaient prêté beaucoup d’argent à leurs voisins hellènes. Et du coup, elles se sont exposées à la crise de défaut des titres obligataires grecs.

Parallèlement, avec les largesses sociales du gouvernement et la baisse des recettes, la dette publique chypriote augmentait de façon inconsidérée, atteignant 104% du PIB en 2013. L’État chypriote annonce alors qu’il retarderait le paiement de 1 milliard d’euros d’obligations, ce qui fait que sa cote de crédit a été abaissée au rang de défaut. La population sent que le vent de l’économie facile tournait à son désavantage. Les manifestations de rage se multipliaient alors devant la crise qui pointait du nez.

Qui a payé les pots cassés?

Cette dépendance exagérée à l’étranger – dépendance vis-à-vis des déposants russes et de la dette grecque – a occasionné d’énormes pertes au système bancaire, près de 5 milliards d’euros, sur un total de dépôts de 67 milliards. C’est en 2012 que l’étau financier s’est resserré de plus en plus, jusqu’à atteindre un point de rupture.

Ce n’est pas l’État qui est arrivé à cette situation dramatique, malgré ses difficultés financières, mais plutôt deux des plus grandes banques du pays, Cyprus Popular Bank (ou Laiki Bank) et la Bank of Cyprus. Ces deux établissements ont accumulé une exposition inconsidérée à la dette grecque, provoquant une perte cumulée de 3,5 milliards d’euros. Alors que, en même temps, leurs engagements étaient considérables, avec des dépôts russes en milliards de dollars, qu’elles rémunéraient grassement. Des pertes bancaires qui ont représenté au plus fort de la crise près de 10% du PIB.

Comme dans un domino, l’économie se rétrécie un pan après l’autre. Les sociétés licencient à tour de bras. Le chômage monte à 16%. Les rapports financiers des organismes internationaux se suivent et se ressemblent, avec à chaque fois un ton plus alarmant. Et la confiance dans le système s’effiloche, emportant tout le monde dans son sillage. Le cercle vicieux classique.

L’État déclare alors assez tôt au début de la crise un contrôle de capitaux pour protéger les actifs bancaires. Les comptes d’épargne devaient rester bloqués jusqu’à leur échéance. Les chèques ne pouvaient être encaissés en liquide. Les transferts hors du pays sont plafonnés, selon les cas (importations, étudiants à l’étranger…). Les plafonds des paiements par cartes bancaires à l’étranger ont été revus à la baisse. Les Chypriotes n’étaient autorisés à emporter que 3 000 euros en espèces lors d’un déplacement hors du pays.

Des arbitrages difficiles

Incapable de lever des liquidités sur les marchés financiers, l’État chypriote sollicite alors une aide de 2,5 milliards d’euros auprès de la Russie en janvier 2012, mais les autorités russes refusent de coopérer. Il faut dire qu’entre-temps, 1 milliard de dollars appartenant à Rossiya Bank ont été gelés dans des comptes chypriotes.

En octobre de cette même année, l’Union européenne a pressé Chypre d’accepter un plan de sauvetage proposé par une troïka comprenant la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds Monétaire International. Au menu: une privatisation d’entreprises publiques, une réduction des salaires des fonctionnaires de 15 %, une augmentation de la TVA…

Mais ce n’est que le 25 mars 2013 que les dirigeants européens sont parvenus à un accord global avec Chypre afin de renflouer son économie, à hauteur de 10 milliards d’euros. Cependant, dans le cadre du programme de la troïka, la deuxième plus grande banque de Chypre, Laiki Bank, a dû fermer ses portes et "fusionner" avec la Bank of Cyprus, où les dépôts ont été transférés. Les actionnaires, obligataires et ceux qui détenaient des dépôts supérieurs à 100 000 euros à la banque Laiki, ont dû couvrir le coût de cette faillite/fusion.

Quant à la plus grande, Bank of Cyprus, qui était elle-même en difficulté, elle a été forcée aussi de puiser dans les dépôts des épargnants afin de rester à flot, une décision qui a suscité de vives critiques de la part des Chypriotes. Une partie des dépôts supérieurs à 100 000 euros ont été perdus et/ou convertis en actions des banques restructurées. Mais, avec le retour de la confiance, ces actions ont, depuis, repris partiellement de la valeur.

Les autres banques du pays, qui n’étaient pas directement concernées, ont subi quand même les effets de cette crise, mais en moindre intensité. La Cyprus Cooperative Bank a dû être recapitalisée avec 1,7 milliard d’euros de fonds publics en 2014 et 2015. Malgré cette injection, la banque est restée insolvable, portant le poids de 7,5 milliards d’euros de prêts non performants. Elle a été alors rachetée par Hellenic Bank, qui est devenue la plus grande banque de détail de l’île.

Dans le cas chypriote, ce n’est pas donc l’État qui était en faillite absolue, malgré ses déficits et sa dette, mais bien quelques banques, avec un effet de contagion sur tout le système bancaire et toute l’économie. Mais, avec l’aide de la troïka internationale et grâce aux mesures étatiques rapides, le pays a pu se redresser en quelques années.