Passez donc chez le légumier et achetez des courgettes, tomates, concombres, bananes, pêches et vous paierez 190.000 LL, soit 5 dollars pour 5 kilos (dont moins que la moitié pour le producteur). Déplorable.

Comme tous les ans, les récoltes estivales font l’actualité. Des producteurs déversent des caisses de pommes sur la chaussée. D’autres en appellent à leurs députés ou aux ministres pour trouver des débouchés. On supplie l’armée d’acheter la récolte pour nourrir ses soldats. L’Égypte est sollicitée pour accroître ses importations de pommes "surtout en ces temps dramatiques que vit le Liban". On fait l’aumône auprès d’autres pays pour d’autres produits. Pourtant, des masses d’argent ont été dépensées pour ce secteur…

Mais voyons ce qu’il en est au juste. D’abord, la politique des subventions à la production n’a jamais bien fonctionné. On soutient pendant des décennies des cultures qui ne sont pas, et ne seront jamais, rentables. Il s’agit juste d’une action-type de clientélisme et d’asservissement politico-confessionnel. Exemples: le tabac, le blé, autrefois la betterave sucrière, mais aussi les subventions occasionnelles d’intrants agricoles ou animaliers, y compris celles financées par la BDL en 2020-2021.

Des initiatives, à part qu’elles ne mènent à rien, faussent la concurrence entre les bénéficiaires privilégiés et les autres, que ce soit dans un même sous-secteur ou entre les sous-secteurs. On en est arrivé à des extrêmes, tels que ces appels occasionnels à l’équité confessionnelle: "Pourquoi seul le tabac chiite est subventionné, et pas la pomme maronite, l’olive orthodoxe, l’orange sunnite…". Lamentable dérive.

Plusieurs départements étatiques s’occupent du secteur, dont en premier lieu le ministère de l’Agriculture. Or le malheur veut qu’on a rarement eu des ministres à la fois compétents et scrupuleux. Presque une malédiction qui frappe ce département. Le ministère n’est même pas capable d’avancer des chiffres fiables sur les produits ou la récolte. Il faut se référer à l’organisme privé CREAL pour obtenir des données crédibles.

Face à ce constat ultra-rapide, donnons quelques têtes de chapitres de solutions, certaines déjà fournies en vrac par des parties prenantes:

– Le ministère de l’Agriculture ne sert pas ou plus à grand-chose; on a juste besoin d’un organisme technique privé pour faire des tests et des recherches, conseiller et former les agriculteurs, et délivrer des labels de qualité pour soutenir l’export.

– Les donateurs (FAO, Banque mondiale, USAid…), très actifs dans ce domaine, pourront financer et assister l’organisme ci-dessus, au lieu de perdre leur temps à essayer de redresser le ministère.

– Ce serait une bonne idée de cesser d’offenser les pays qui constituent nos marchés d’exportation traditionnels, ou les noyer dans une marée de Captagon. Si les produits de saison sont aussi peu chers, c’est surtout parce que des marchés d’exportation sont fermés.

– Un autre organisme, ou le même, pourra servir de relais aux petits producteurs pour ouvrir de nouveaux marchés. Des ONGs telles que Fair Trade sont, à cet égard, plus efficaces que l’ensemble du Conseil des ministres.

– Les producteurs sont appelés, avec l’aide de l’organisme ci-dessus, à s’adapter constamment aux marchés (local et étranger) et de se diversifier vers des produits à haute valeur ajoutée: fruits exotiques, champignon, quinoa… Des précurseurs y ont trouvé leur bonheur. Et il ne sert à rien de s’accrocher aux pommes Starken, quand la Reinette et la Gala sont les variétés en vogue maintenant en Europe.

– Des marchés directs de producteurs, initiés occasionnellement sous l’appellation ‘Souk el-Tayeb’, doivent devenir constants, réguliers, et couvrant tout le territoire, afin de casser la mainmise des intermédiaires et gros négociants.

Au final, en scrutant une crise après l’autre, on se rend compte qu’on en est arrivé à une énormité inédite: dire aux autorités " SVP, surtout ne faites rien, vous empirez la situation, laissez les autres travailler… ".

 

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