La conviction des personnes qui s’intéressent au budget de l’État, et la vague impression des autres, est qu’il représente en gros les dépenses et les recettes du gouvernement durant une année donnée, selon les lois en vigueur et les besoins. En gros, les chiffres étatiques sont donc un reflet de la santé financière de l’État.

Or rien de tout cela n’existe dans le bilan de l’année 2021 qui vient d’être rendu public. Car cette santé est, selon ce bilan, superbe. Rien à dire. On a même un excédent entre les dépenses et les recettes (2 trillions de LL), chose jamais vue depuis des décennies. Mais comment est-on donc arrivé à cette prouesse? Un exploit si impressionnant qu’un observateur extérieur ne croira jamais que le pays traverse une crise financière fracassante.

En gros, l’État a pu diminuer les dépenses (de 7% sur un an) alors que pas une entreprise ou un ménage n’a pu survivre sans multiplier ses dépenses par 3, 4, 6… devant une inflation à trois chiffres. Comment ont-ils fait alors?

Première astuce: ne payons pas la dette. Ni le principal, ni les intérêts, ni les indemnités de retard. On a fait défaut sur notre dette en devises dès mars 2020. Et depuis, on s’est débarrassés de cette corvée. Hassan Diab avait promis à l’époque qu’on allait faire aussi défaut sur la dette en LL, mais, dommage, il n’a pas eu le temps de tenir parole, et le Trésor verse encore le service de cette dette, quoique diminué.

Ensuite, arrêtons tous les projets d’investissements: -77% de réduction de dépenses, et même -98% pour les dépenses liées aux projets du ministère des Travaux publics. Donc, plus de travaux d’infrastructures dans aucun domaine, y compris ceux déjà décidés ou même entamés. Et même pas d’entretien minimal des infrastructures déjà existantes. Tant pis pour les routes cabossées, les antennes télécoms rouillées, les centrales électriques carbonisées…

Puis cessons de fournir du matériel de travail aux administrations: papeterie, carburant, nourriture (pour les militaires), etc. Tant pis pour ceux qui ont besoin d’un passeport, d’un titre de propriété, d’un extrait d’État civil.

Sur ce chapitre, on a partiellement trouvé la parade: on fait appel aux dons, autrement dit à la bonté, forcément aléatoire, des bienfaiteurs. Des organismes internationaux bien sûr, mais aussi des ONG qui jadis recevaient des aides publiques, sont sollicités maintenant pour apporter leur soutien. Pas un seul projet n’est exécuté actuellement sans qu’il y ait un bailleur de fonds ‘partenaire’. Même des individus s’emploient à apporter des aumônes en nature à l’administration du voisinage pour pouvoir faire avancer leurs formalités: une cartouche pour l’imprimante, deux Bics bleus, une ramette de papier A4…. Et cela s’étend aux ambassades, qui vivotent grâce à la générosité de nos expatriés.

Ensuite, arrêtons cette manie de payer les sommes dues à tout un chacun: contractuels, entrepreneurs, hôpitaux, écoles privées gratuites… et d’autres encore qui attendent depuis des mois, parfois des années de recevoir leur dû, parfois en dollars, mais souvent en LL qui ne vaut plus grand-chose.

Puis, pas grave, laissons les fonctionnaires crever avec leurs maigres salaires. Il est vrai qu’une bonne moitié est complètement inutile, mais le reste est laissé à son sort… et aux largesses intéressées du public, toute formalité étant maintenant officieusement monnayée selon un tarif aléatoire. Vous pouvez ainsi obtenir tout ce que vous voulez: passeport, acte de propriété… il suffit d’en payer le prix.

Alors que tous les pays se débattent actuellement avec l’inflation qui monte et les déficits publics qui s’accumulent, le Liban a, encore une fois, prouvé son ingéniosité. On rappelle qu’il s’est illustré auparavant par une absence de budget pendant 12 ans. À tel point que Gebran Bassil voulait en faire profiter les autres. Un signe de virtuosité de ce dirigeant qui ne s’est jamais démentie depuis.

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