Après la déconstruction politique du pays, en minant l’exercice normal du pouvoir, et après la déconstruction économique qui vise à saper tous les secteurs, on s’attaque aux fondations juridiques du pays. Le plan est bien ficelé.

Prenons au hasard un investisseur étranger qui, par miracle, voudrait réaliser un gros projet au Liban. On sait que la première question qu’il posera à son consultant local est: "Est-ce que le judiciaire fonctionne normalement?" Une façon de s’assurer que ses droits seront préservés. Le consultant essaiera d’édulcorer la situation autant que faire se peut. Mais l’investisseur aura vite fait le constat navrant: le Liban n’est pas un État de droit.

Il suffit de lister quelques ingrédients, évidents pour nous autres indigènes, mais mis ainsi en enfilade donnent quand même froid dans le dos. En commençant par la vie quotidienne. La fourniture d’électricité, d’eau, d’internet, et même de chaînes télé… est majoritairement illégale.

Côté commerce, au cas où son projet inclut une activité d’import-export, les frontières-passoires laissent déverser sur le territoire tout genre de produits, sans douane ni contrôle. Le port et l’aéroport échappent aux reliquats des autorités officielles.

Côté règlementations, les ministres peuvent prendre à tout moment des mesures intempestives selon leur humeur ou leur intérêt, changeant à leur guise les règles du jeu commercial, et tout un gratte-papier peut interpréter les règles administratives ou fiscales selon son gré et ses fins de mois difficiles.

À un niveau supérieur, des dizaines de lois votées depuis des années restent lettre morte, parce que personne n’a pensé les mettre en exécution, Et des dizaines de projets de loi traînent au Parlement depuis des lustres, parce que cela ne plaît pas à son perchoir.

Côté judiciaire, c’est la catastrophe. Qui irait porter plainte aujourd’hui? Le procès durerait des années, et on n’est même pas sûr de tomber sur un juge intègre, question de chance, ou de "couverture" politique.

Tiens, c’est une notion bizarre, mais qui passe inaperçue tant elle est rentrée dans les mœurs: c’est la "couverture". De quoi s’agit-il? Le concept est souvent employé par des pontes lorsqu’un délit est commis. Ça s’insère dans une phrase telle que: "Nous ne couvrons pas, ou plus, le suspect (ou le délit)", comprendre qu’on va laisser faire la justice. Cela veut dire que la possibilité de "couvrir" le concerné existe, auquel cas, c’est l’impunité qui s’applique, mais que par magnanimité, ils ont renoncé à ce droit. Ils en reçoivent à cette occasion plein d’éloges.

C’est pour cela d’ailleurs que les plus pragmatiques vérifieront au préalable le degré de couverture concernant un suspect avant de perdre leur temps à porter plainte. C’est ce que font d’ailleurs les forces de l’ordre et l’appareil judiciaire, qui en ont l’habitude.

À propos, il y a bien un projet de loi sur l’indépendance du judiciaire au Parlement, mais qui traîne depuis des années sans espoir de finalisation. Il n’y a qu’à voir que même un président de la République – c’était une de ses dernières réalisations – se fait un plaisir fou en gelant les nominations judiciaires.

D’ailleurs, on n’a pas le droit de se lamenter sur un banal procès commercial mal abouti. Même les crimes ne sont jamais élucidés, encore moins mis en procès. On assassine des personnalités au grand jour. Puis, on fait exploser le port et la moitié de la ville avec. Et, on trouve toujours un zigoto de service, en l’occurrence, le ministre des Finances, alias Nabih Berry, qui bloque l’investigation, histoire de protéger des Ali Hassan Khalil et autres Zeaïters.

Jean-Yves Le Drian l’avait dit dès 2020: "Le risque aujourd’hui, c’est la disparition du Liban." Le citoyen lambda n’a pas compris comment cela peut être possible. En réalité, c’est tout à fait faisable, il suffit de saper tout ce que l’État a comme attributs. La déconstruction politique est en marche avec la vacance répétée du pouvoir, et ce droit virtuel de veto qui empêche de gouverner à tout moment. La déconstruction économique aussi en minant les secteurs l’un après l’autre.

Reste à détruire le socle juridique pour parfaire la mission. C’est en cours.

P.S.: À propos, l’investisseur susmentionné est déjà parti, en milieu du récit, monter son usine ailleurs, mais en emmenant quand même avec lui une dizaine de nos meilleurs diplômés.

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