L’économie a l’air d’être une science lugubre. Pourtant, rares sont les sujets qui suscitent autant de vives réactions que le salaire minimum. Une raison de plus de garder un esprit critique et de questionner les dogmes. Une analyse du salaire minimum prouve qu’il faut juger les politiques non pas selon leurs motivations et bonnes intentions, mais selon les conséquences qu’elles engendrent. Un sujet qui vient à point nommé avec toutes les palabres et les discussions autour d’une actualisation du salaire minimum au Liban.

Un salaire minimum est-il nécessaire?

Le salaire minimum interdit, par définition, de verser une rémunération en deçà d’un seuil déterminé par l’État. Il est prôné pour des raisons économiques, mais surtout sociales. Il est supposé assurer le pouvoir d’achat des travailleurs, leur donner plus de dignité et de justice sociale, pour avoir à la fin une économie développée. Or tout ceci est discutable. Beaucoup de pays ont adopté ce système, d’autres non. Et, franchement, on ne voit pas de différence significative dans la condition des travailleurs entre les premiers, comme la France, l’Allemagne ou les États-Unis et les seconds, comme la Suisse, la Suède ou le Danemark.

Comment le calculer?

Maintenant, si on décide de l’adopter, il reste que ce n’est pas si facile de définir son niveau idéal, disons au Liban. Sarah Haykal, enseignante et chercheuse dans le domaine de l’économie à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, affirme que le Liban nécessite une hausse du salaire minimum, pourvu que celle-ci soit limitée. Ceci permettrait de fixer des normes déontologiques, malheureusement bafouées quotidiennement au Liban. Selon ses estimations, il y aurait un salaire minimum au noir à hauteur de 150 dollars environ, compte tenu de l’effet des travailleurs étrangers.

Quel effet secondaire?

Comme tous les remèdes, une mesure socio-économique incluant un salaire minimum imposé produit des effets secondaires liés au principe économique classique de l’offre et de la demande.

Ce même principe qu’on utilise pour les produits reste applicable au marché du travail où ce sont les employeurs qui demandent une force de travail et les travailleurs qui en offrent. En effet, certaines entreprises s’abstiendront d’embaucher si elles jugent que le salaire minimum qu’elles sont obligées de verser (avec ses annexes de charges sociales) n’est pas justifié eu égard à la plus-value espérée du travail fourni. D’où moins d’embauche et par suite un excédent de chômeurs. Ceci est naturellement valable pour les travailleurs non qualifiés, ayant peu d’expérience professionnelle. Évidemment, les travailleurs les plus qualifiés pourront en bénéficier indirectement, devenant ainsi plus compétitifs.

Dans le cas spécifique libanais, selon Sarah Haykal, ce sont les travailleurs libanais qui pourraient être affectés par l’imposition du salaire minimum, puisque les travailleurs syriens ont trouvé leur place dans le marché. Les travailleurs syriens, faisant feu de tout bois, sont prêts à travailler au noir, peu importe le salaire ou l’emploi. Cela dérange certains, qui accusent ainsi les Syriens de "voler nos emplois".

Quels effets au niveau macro?

Les études sur les effets du salaire minimum sont abondantes. Quand le gouvernement français a augmenté le salaire minimum de 10% en 1981, le chômage s’est notoirement envenimé, frappant plus de 8% de la population active. Un chômage qui a touché surtout les jeunes, ayant naturellement moins de qualification ou d’expérience.

Des conséquences similaires ont été reportées par David Neumark, professeur d’économie à l’Université de Californie, et William Wascher, directeur adjoint de recherches à la Réserve fédérale, dont les études sur le marché du travail sont citées énormément. Selon une étude, l’augmentation du salaire minimum au New Jersey a entraîné une baisse de 4,6% de l’emploi. Neumark et Wascher ont en fait scruté 33 études sur le salaire minimum, et 28 d’entre elles (soit 85%) concluent que le salaire minimum a des effets négatifs sur l’emploi.

Au-delà du salaire minimum

Les salaires ne sont pas les seuls coûts qu’une entreprise supporte. Il y a également les bénéfices qu’octroie l’entreprise à ses employés, comme les indemnités, les congés payés, l’assurance ou autres. Ces bénéfices ne sont pas mauvais en soi. La couverture médicale est d’ailleurs un must. Mais à l’instar des autres coûts, ils peuvent peser lourdement sur l’entreprise et dissuader l’embauche. D’où la nécessité aussi de ne pas les imposer systématiquement par la législation et de laisser le champ libre aux négociations entre l’employeur et l’employé, ou encore entre les syndicats ouvriers et le patronat.

Par exemple, on se plaint souvent que certains de ces bénéfices sont jugés pernicieux en France, notamment pour le licenciement qui est devenu une procédure extrêmement ardue, décourageant les employeurs d’embaucher de jeunes travailleurs. Sarah Haykal dénonce le manque de flexibilité du marché du travail français et indique que les excès de réglementations font fuir les investissements, qui sont créateurs d’emplois.

Un bilan ambigu?

Ceci dit, l’économie est complexe et n’est pas une science exacte comme les mathématiques. Plusieurs variables entrent en jeu. Paul Krugman, prix Nobel d’économie en 2008, affirme  que le salaire minimum n’a aucune relation de cause à effet avec le taux de chômage. Mais, dans ce cas, peut-on s’amuser à augmenter le salaire minimum indéfiniment, en espérant qu’il n’y aura pas de répercussions? Cela semble difficile à croire.

Enfin, ce qui complique encore plus la situation est que le salaire minimum est et restera un instrument de populisme au service des politiciens, qui n’ont aucun intérêt à s’instruire là-dessus.

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