L’histoire a montré que les périodes d’inflation et d’hyperinflation dans le monde se basent sur un manque de confiance des populations dans leur monnaie nationale. Ce qui est absolument aujourd’hui le cas au Liban.

C’est vers de nouveaux records du taux d’inflation et de nouveaux pics du taux de change du dollar contre la livre que le Liban se dirige. Une lapalissade. Tant qu’une quantité de monnaie plus élevée est disponible sur le marché pour une même quantité de biens, il en résulte une hausse des prix continue, et donc une inflation.

Le manque de confiance dans la livre a conduit à un dysfonctionnement de l’État. Les Libanais cherchent à se débarrasser de leurs positions en livres libanaises, dont le pouvoir d’achat a fortement chuté, et se dirigent vers une monnaie plus stable, une monnaie alternative, le dollar. Un phénomène qui continue d’entraîner une offre accrue de livres libanaises sur le marché et par conséquent une demande forte sur le billet vert, sachant que si l’offre de la monnaie augmente, sa valeur diminue. À cela s’ajoute une demande "effective" d’achat de dollars par les importateurs de l’ordre de 80 millions de dollars à un rythme quotidien, sur base d’une valeur totale de 18 milliards de dollars d’importations pour 2022, presque le même montant qu’en 2019, soit avant le déclenchement de la crise.

Folklore et populisme  

Ainsi, la séquence de l’arrestation d’une poignée de changeurs qualifiés d’"illégaux", le week-end dernier, qui se trouvaient dans différentes régions du pays – à Chtaura, à Saïda, dans la banlieue-sud de Beyrouth, et à Tripoli – revêt un double caractère de folklore et de populisme. Autant que les tweets de l’ancien ministre Wiam Wahab, qui ne mènent à rien d’autre qu’à alimenter les réseaux sociaux d’informations sarcastiques.

La solution à la dépréciation de la monnaie nationale n’a rien de sorcier et tout le monde la connaît: une application sérieuse des réformes structurelles, qui nécessite un accord de l’establishment politique. Ce dernier le rejette jusqu’à ce jour pour des raisons d’affiliation à des agendas extérieurs.

La BDL au bout de ses limites

La Banque du Liban, qui est censée maintenir sous son contrôle l’inflation et la taille de la masse monétaire en circulation, serait au bout de ses limites. Ce qui est arrivé dans la seconde quinzaine du mois de janvier dernier en est une preuve éclatante. Peu importe le montant de billets verts que la Banque centrale est disposée à injecter sur le marché, celui-ci sera absorbé par la demande. Lorsque la BDL a autorisé à la mi-janvier la mise en application de la circulaire 161 sans qu’elle ne fixe de plafond aux retraits en dollars en espèces contre des livres en cash, le nombre de transactions de change enregistré par jour sur sa plateforme Sayrafa a tourné alors autour de 275 millions de dollars, acculant la BDL à les suspendre. Elle aura réussi à retirer du marché entre 13 et 16 mille milliards de livres d’une masse totale en circulation de l’ordre de 80 mille milliards de LL, selon plusieurs sources concordantes.

D’où vient la masse de livres?  

La masse grandissante de livres libanaises en circulation trouve sa source dans un budget 2022 entaché d’un déséquilibre structurel ainsi que dans de nombreuses années fiscales sans clôture de comptes. Ainsi, la BDL est acculée à financer le déficit budgétaire en créant des livres, un mécanisme qu’on appelle "faire tourner la planche à billets". Un phénomène qui a conduit à prendre une population en berne dans le tourbillon d’une hyperinflation qui balaie sur son passage les pouvoirs d’achat, les emplois et les économies des individus. Pire est de voir que le taux de change de Sayrafa est en train de suivre le marché noir au lieu que ça ne soit le contraire.

La dollarisation est-elle la solution à l’inflation? Elle pourrait l’être à condition d’une dollarisation totale des salaires, des secteurs productifs et des impôts et taxes.

Une éventuelle démonétisation de la livre rendra le mécanisme de sa réhabilitation difficile, voire impossible.