Peut-on (ou doit-on) encore avoir foi dans le pays? Une question qui n’est pas que politique, ou philosophique, mais, dans notre contexte, économique.

On a tendance à relier la foi à la religion. Ce qui est vrai. Mais pas que. Le dictionnaire va plus loin: ‘’Parole ou acte qui exprime l’adhésion à une religion ou à une idée’’. C’est que le terme foi vient du latin fides qui signifie ‘confiance’. La foi désigne donc le fait d’avoir confiance en quelque chose ou quelqu’un. On peut donc croire à – avoir foi en – un dogme, un leader, un parti, une économie, un État, un pays. Ou pas.

Un phénomène est avéré dans ce cadre: quand on cesse de croire, l’objet de cette foi disparaît. On a bien vu des entreprises disparaître presque subitement parce qu’elles n’ont plus la confiance de leur clientèle. On a vu même des pays disparaître (URSS, Yougoslavie…), ou des dieux (Appolon, Zeus…). Rien que parce que personne n’y croit plus.

Quel rapport avec nous, dans notre sphère économique? Tout, en fait. La plupart ont cessé de croire dans la livre libanaise, et elle s’effondra. Beaucoup ne croient plus dans le secteur bancaire et il est en train de chanceler. Il faut dire qu’on a tout fait pour en arriver là, par les actions ou inactions de tous les pans du pouvoir: président, gouvernements, ministres des Finances, Parlement, juges, Hezbollah… puis des médias, des pays étrangers (l’Iran, le Syrie…).  Délibérément.

Maintenant, on assiste à des corbeaux qui croassent publiquement que ‘’tout va s’effondrer’’ au Liban, sans définir ce que cela veut dire au juste. Cela fait un bon bout de temps que ça dure, et même si la situation s’envenime de plus en plus, pas encore d’effondrement. Car il y a toujours quelques-uns qui croient dans l’idée de développer un projet de restaurant ou une usine ou une startup, puis des ONG qui se multiplient, ayant toujours la foi. C’est ce qui tient encore le socle en place.

Mais paradoxalement, l’État est généralement absent de cette foi. Si on avait une activité de sondage sérieuse dans le pays, il y a fort à parier qu’à la question ‘’croyez-vous encore à l’existence d’un État au Liban?’’, la plupart répondront par la négative. Le monde extérieur glisse peu à peu vers le même état d’esprit: on rechigne à traiter avec les locaux, freinant ainsi le commerce, les transferts d’argent, les investissements… obligeant les acteurs concernés à implanter des entreprises annexes à Dubaï ou à Chypre.

On se demande même si les commis de l’État eux-mêmes y croient encore. Les ministres, par exemple, font semblant. Mais comme ils sont mauvais acteurs, ils ne convainquent pas grand monde. Ils tentent en fait de cacher leur jeu en présentant, chacun, un ‘plan global’ pour leur secteur… avec la collaboration à chaque fois d’un organisme international. En réalité, c’est l’OMS, La Banque mondiale, la FAO… qui ont effectué le travail puis placé le ministre concerné devant le micro en lui indiquant quoi réciter. Ces acteurs extérieurs semblent paradoxalement beaucoup plus intéressés dans la préservation de l’État que les commis de l’État eux-mêmes.  

Mais si c’est presque acquis que peu croient encore en l’État libanais, il y a encore un pas qui reste incertain: est-on arrivé à perdre la foi dans le pays lui-même – un pays étant différent de son État. Ce n’est pas sûr que les centaines de milliers de Libanais qui ont quitté le pays depuis 2019 sont dans cet état d’esprit. La motivation de survie économique semble prévaloir pour le moment.  

Mais cette perte de foi dans le pays est toujours un risque qui peut subvenir à la longue, et c’est à ce moment-là que le fameux effondrement soufflera. Certains proposent comme paratonnerre un genre de fédéralisme, en partie pour échapper à l’emprise du Hezbollah et autres magouilleurs. Mais c’est là une autre histoire dont on verra les dynamiques économiques dans un prochain article.  

En attendant, souvenons-nous qu’un bon homme d’État est celui qui sait bien justifier pourquoi les engagements qu’il a pris n’ont pu être tenus.

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