C’est une histoire sans fin que celle de la régulation des biens-fonds maritimes publics. Elle rejaillit dès que le Trésor se trouve à la recherche de sources de financement. Mais le dossier du domaine public maritime et fluvial est compliqué: il met en jeu les intérêts de "gros bonnets".

Tout le parc des biens-fonds publics maritimes, occupés légalement et illégalement, rapportent au Trésor des redevances de près de trente milliards de livres libanaises, ce qui équivalait à vingt millions de dollars par an avant l’effondrement de la valeur de la livre. Aujourd’hui, ces revenus sont insignifiants et une revalorisation du patrimoine des fonds publics maritimes et fluviaux est nécessaire. Sachant que des sources officielles concordantes estiment la valeur de ce patrimoine à près de vingt milliards de dollars.

Le ministre sortant des Travaux publics, Ali Hamiyé, avait souligné mercredi à l’issue de la réunion du Conseil des ministres sa volonté de procéder à une revalorisation des biens-fonds publics maritimes, faisant suite à la perspective du ministre sortant des Finances, Youssef el-Khalil, d’assurer le financement de la nouvelle augmentation des salaires des fonctionnaires grâce aux recettes provenant du relèvement du taux du dollar douanier et des redevances des biens-fonds publics.

Mille soixante-huit occupations illégales 

En vertu de la loi 66 de 2017, le ministère des Travaux publics a répertorié 1068 occupations illégales le long du littoral libanais parmi lesquelles figurent 333 complexes balnéaires d’une superficie totale d’un million et demi de mètres carrés. Sur base de ces chiffres, l’occupation totale du domaine public maritime s’élèverait à environ cinq millions cinq cent mille mètres carrés, dont la moitié est légale et l’autre moitié illégale. Cette proportion aurait augmenté depuis six ans.

Redevances insignifiantes                                                                                   

Pourtant, l’occupation des fonds maritimes publics est régulée d’une manière claire en vertu de la loi 144 de 1925, qui reste en vigueur, tout en ayant subi des amendements en 1996 et 2018 portant sur une augmentation des redevances à l’État. Celles-ci sont insignifiantes au stade actuel, d’abord parce qu’elles sont libellées en livres libanaises, et ensuite elles ne sont pas compatibles avec les rendements réels des domaines occupés. Le dernier amendement en date a partagé le littoral en trente zones et a fixé le prix du loyer du mètre carré pour chacune d’elles. À titre d’exemple: les redevances par mètre carré dans la zone de Arida, au Liban-Nord, sont de 40 000 LL, celles de Nakoura, au Liban-Sud, sont de 200 000 LL et celles de Solidere sont de 9 millions de livres.

Un bien-fonds public

Par définition, les biens-fonds publics maritimes sont inaliénables et imprescriptibles. Selon l’article 2 de la loi 144 de 1925, ils désignent: le rivage de la mer jusqu’à la limite du plus haut flot d’hiver et les plages de sable ou de galets; les marais et étangs salés communiquant directement avec la mer; les ports, havres et rades.

L’État et les municipalités ont le droit d’accorder un permis d’occupation temporaire pour une période d’un an, renouvelable par tacite reconduction, à condition que les redevances d’occupation soient spécifiées dans les permis.  Or les autorités compétentes ont abusé de la loi, octroyant à tour de bras des permis d’exploitation à des personnes et des entités influentes ayant des affiliations politiques et communautaires bien définies.

La sempiternelle problématique

Preuve de cet abus de la loi: la sempiternelle question de la suppression des occupations illégales du domaine public maritime demeure jusqu’à ce jour sans règlement radical. La totalité des déclarations ministérielles des gouvernements successifs, formés après Taëf, l’ont abordé, sans que des suivis soient faits. Tout comme la loi promulguée en 2017, en même temps que celle de l’échelle des salaires des fonctionnaires du secteur public, stipulant la régularisation des statuts des usurpateurs des droits de l’État moyennant le paiement d’amendes et de redevances appropriées avec effet rétroactif. Cette mesure est restée lettre morte.  

Il y a lieu, donc, de s’interroger sur le fait de savoir si le ministre Ali Hamiyé a les moyens de faire aboutir sa décision de mercredi dernier ou s’il s’agit simplement de propos destinés à la consommation interne. Pourtant, sur le plan légal, le décret 2382 du 19 février 2018 lui accorde les prérogatives de définir et de préserver le domaine public maritime et d’en assurer l’accessibilité à tous les citoyens conformément aux lois en vigueur.  

 


Six catégories

Il convient d’indiquer dans ce cadre que les occupations des biens-fonds maritimes sont réparties en six catégories.

1. Les occupations légales qui ont eu lieu conformément à des décrets promulgués avant la guerre de 1975. Superficie: environ 876 000 mètres carrés.

 2. Les occupations légales qui ont eu lieu entre 1990 et 2012, en vertu de décisions et d’arrêtés. Superficie: environ 1 952 827 mètres carrés.

3. Les occupations qui ont eu lieu conformément à des décrets, mais qui ont dépassé les espaces autorisés. Les occupants versent des redevances en fonction des zones autorisées. Superficie:  environ 43 000 mètres carrés.

4. Les occupations sans permis qui ont eu lieu pendant et après la guerre. Les occupants possèdent des terrains attenants au domaine public occupé. Ces occupations peuvent faire l’objet d’une régularisation. Superficie: environ 1,5 million de mètres carrés.

5. Les occupations sans permis qui ont eu lieu durant la guerre de 1975. Les occupants ne possèdent pas une propriété privée adjacente au domaine public. Il est donc difficile de régulariser ce type d’occupation. Superficie: environ 650 000 mètres carrés.

6. Les occupations exercées par des organismes gouvernementaux ou municipaux sans aucune licence. Ce problème peut être réglé.