Les installations électriques nécessitent une réhabilitation et de nouveaux investissements au niveau de la production, du transport et de la distribution. À condition que la politique suive…

Vue aérienne de la capitale libanaise, Beyrouth, plongée dans le noir lors d’une coupure de courant, le 3 avril 2021 (AFP / Dylan COLLINS)

Instable depuis le début des années 1980, au plus fort de la guerre, le secteur de l’électricité subit aujourd’hui le coût de la crise monétaire, l’État n’étant plus en mesure d’acheter des carburants. En outre, la capacité des grandes ou petites centrales thermiques atteint 2000 Mégawatts, alors que la demande oscille entre 2500 MW en automne et au printemps, jusqu’à atteindre jusqu’à 3800 MW en été.
Après la production, la masse d’énergie est transportée au moyen de lignes de haute tension vers les sous-stations, avant d’être distribuée vers les consommateurs. Cette production est complétée par les générateurs de quartiers, et par des achats auprès de prestataires étrangers telles que la Syrie, ou encore la Turquie dont barges ont récemment quitté le littoral.

Un circuit défectueux

Concernant d’abord la production, Fadi Sawaya, un ingénieur spécialiste du secteur, souligne :  "La réhabilitation et l’extension des centrales de Zouk et de Jiyyé aurait permis de pallier à la location de barges dont la présence provisoire – le temps des travaux qui n’ont finalement pas eu lieu – a duré huit ans. Malgré l’agrandissement partiel de la centrale de Zouk, aujourd’hui dotée de 10 nouvelles petites unités, et la construction de 5 petites unités à Jiyyé, les résultats restent insuffisants car les grandes usines n’ont pas été réhabilitées. L’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020 a ajouté aux dégâts, détruisant la sous-station de l’EdL à Achrafieh. "

Le problème réside aussi au niveau du transport, inapte à suivre la production afin d’assurer une distribution équitable dans toutes les régions. La situation n’est pas meilleure au niveau de la distribution. En 2012, dans le cadre du projet DSP (distribution service provider), le pays a été découpé en trois grandes zones dont chacune était gérée par une société privée. Ces sociétés ont commencé à travailler afin d’assurer la maintenance du réseau de distribution et la collecte des factures.

Le découpage du pays en 3 grandes régions dans le cadre du projet DSP

Néanmoins les KPI (key performance indicators) ont mis en lumière une mauvaise gestion des contrats. Les pourcentages de vol de courant et de factures impayées n’ont pas été améliorés : pour 100 Kilowatts-heure produits, seuls 55 KWh sont collectés en moyenne, qui plus est avec du retard.
Pour Fadi Sawaya,  "une révision des contrats avec les sociétés DSP est nécessaire dans les prochains mois. Cela pourrait par exemple consister à ramener tout ou une partie de la charge à l’EdL ; à réajuster le taux de la livre libanaise (toujours à 1500) par rapport au dollar ; et à élargir la répartition au-delà de trois régions afin de gagner en efficacité. "

L’absence de volonté politique

Il reste que le problème électrique est avant tout un problème politique. Exemple,  "en 2013, le projet Deir Amar 2 a été confié à une société dans le but d’augmenter la capacité de production. Il n’a cependant pas pu voir le jour en raison d’un différend entre les ministères de l’Énergie et des Finances, renvoyant à des conflits politiques, chaque camp refusant que le camp adverse en tire crédit ", indique Fadi Sawaya.
 "De même, en 2017, un projet de 12 fermes d’énergies renouvelables capables de produire 15 MW, financé, construit, et mis en œuvre entièrement par le secteur privé, a été soumis au ministère de l’Énergie avec l’appui de la communauté européenne. Mais une fois de plus, la décision a fait défaut au niveau étatique, " poursuit-il.
Le secteur de l’énergie est en outre gangréné par la corruption, certains hauts placés tirant de juteux profits du soutien de l’État, évalué à un à deux milliards par an depuis 15 ans, et constituant 40% de la dette publique. Enfin, le commerce des carburants via le port – moins contrôlable qu’à travers un pipeline – engendrerait des gains considérables pour les trafiquants.
Fadi Sawaya conclut :  "La question de l’électricité serait facile à régler dans un pays de l’importance d’un arrondissement en Europe, si une réelle volonté politique était déployée. "
Par exemple, pour pallier au manque d’électricité – et dès lors qu’il n’est pas possible d’acheminer une forte puissance dans certaines régions – Fadi Sawaya suggère la construction de petites unités moins couteuses, plus proches du consommateur, éparpillées entre les sous-stations de l’EdL présentes sur le territoire, en plus de la mise à contribution des générateurs privés appartenant aux grandes sociétés.
La seule solution, provisoire et très partielle, envisagée aujourd’hui est l’importation directe d’électricité de la Jordanie via la Syrie et l’importation de gaz d’Égypte à travers un gazoduc passant par la Jordanie et la Syrie en vue d’alimenter la centrale de Deir Ammar. Une initiative qui devrait déboucher en mars prochain, mais qui, au meilleur des cas, fournirait au total 10 heures de courant, le niveau qui était établi en 2018.