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Tout le monde veut proposer des solutions à la crise économique, et il en résulte une cacophonie de sophismes. En fait, une maille manque à cette chaîne, qu’on trouve rarement dans les principes énoncés. C’est la propriété privée, son importance, voire son caractère indispensable.  Or elle est le pilier de toute économie depuis longtemps, ou du moins depuis que l’économie et la propriété collective des régimes communistes ont rendu l’âme.

L’harmonie économique

Le point de départ de la théorie de la propriété privée est que l’homme ne peut pas vivre en autarcie. L’échange (donc la coopération) est vital. C’est précisément la notion de propriété privée qui rend l’échange possible. On ne peut échanger quelque chose qu’on ne possède pas au départ. Cela a permis la création de tout genre de marchés, d’offres, de demandes, de prix, de production, de commerce, de monnaie, de crédits et de banques, et des bourses où tout un chacun peut acheter et vendre des parts de sociétés.

Le Liban, qui a toujours été le champion de ces principes, et de la propriété privée, se trouve malheureusement maintenant dépourvu d’une partie de ces attributs.

Face à la propriété privée, on trouve les adeptes de la propriété publique, collective, ou de la nationalisation. Leurs arguments sont ressassés en permanence. Le premier est que l’État a à cœur de protéger l’environnement, contrairement aux privés; or il suffit d’une législation appropriée pour parer à ce risque, ce que beaucoup de pays ont fait. Deuxièmement, les ressources seraient négligées et se détérioreraient, prétendent-ils, et il faut donc que l’État les prenne en charge. Cet argument ne tient pas la route car le propriétaire d’un actif est incité à le préserver, voire à l’améliorer pour créer de la valeur et donc en tirer profit. 

Au contraire, c’est l’État qui, dans beaucoup de cas, néglige un actif, en raison d’une mauvaise gouvernance, d’une limitation du budget, ou pour faire face à d’autres priorités. Et c’est loin d’être de la théorie: la tragédie des biens communs est un fait bien documenté. Lorsque les ressources sont partagées en commun et n’ont pas de propriétaires bien définis, toute personne qui y a accès, habilitée ou non, est encline à agir dans son intérêt personnel et exploiter ces ressources, parfois jusqu’à les épuiser.

C’est le cas au Liban, d’après Garabed Fakrajian, chercheur et membre de l’Institut libanais pour les études de marché. L’État n’a plus de budget que pour les salaires. Du coup, les services publics tombent en lambeaux, l’infrastructure s’effondre. Même avant la crise, les actifs publics étaient déjà mal gérés, pillés, ou abandonnés. Des milliers de kilomètres carrés sont toujours à l’abandon, quand ils ne sont pas squattés. Le pire est que même maintenant, où manifestement tout est tombé à l’eau, des voix appellent toujours à ramener des propriétés privées, ou gérées par le privé, dans le ‘giron de l’État’.

Le catalyseur du développement

Plus généralement, le rôle de la propriété dans le développement économique des nations est bien reconnu, car elle incite à l’investissement, l’innovation et l’entrepreneuriat. Les exemples sont légion, en partant des régimes communistes jusqu’au Zimbabwe actuel, où la mainmise de l’État a littéralement mené le pays à la faillite, la production agricole s’est effondrée, la confiance des investisseurs s’est pulvérisée.

Plus encore, la propriété privée permet de transformer un actif physique en capital financier, rendant l’accès au marché des crédits plus facile, en plaçant simplement cet actif en garantie.

Une accusation on ne peut plus erronée est que la propriété privée favorise les ‘riches’ aux dépens des ‘pauvres’. Pourtant, la propriété privée fournit un cadre légal qui permet aux moins nantis d’acquérir du capital et de le protéger, d’avoir accès à des crédits, d’investir et de penser au long terme. C’est ce qui a permis aux sociétés occidentales de prospérer.

Des bâtons dans les roues

Pour les affaires liées à la propriété, les réglementations sont parfois nécessaires, à condition qu’elles ne limitent pas l’accès à la propriété elle-même et à son usage, au-delà du nécessaire (pollution, risques…). Hernando de Soto, économiste péruvien réputé, a mené des recherches sur le terrain et a trouvé que dans certains des pays étudiés, la croissance est entravée par des réglementations qui empêchent les plus démunis de devenir propriétaires et d’échapper à la pauvreté.

D’où un phénomène qu’on rencontre dans beaucoup de pays en développement: quand le coût de l’obéissance aux réglementations excède les bénéfices, les individus ont tendance à se tourner vers l’économie informelle. Le Liban en est un témoin quotidien. Le gouvernement détient des monopoles qu’il n’arrive pas à gérer. Par conséquent, la population s’est tournée vers des moyens extra-légaux pour se procurer ces services.

Le Brésil en est un autre exemple, où les citoyens sont chassés de l’économie formelle à cause de l’excès de réglementations. Dans les années 1970, les deux tiers des logements en construction étaient destinés à la location. Aujourd’hui, les locations représentent à peine 3% des nouvelles constructions. La majeure partie de ce marché s’est déplacée vers les quartiers informels des villes brésiliennes, les favelas. Il en est de même en Égypte: en raison des nombreuses réglementations de l’immobilier, plus de 5 millions de logements sont dans une situation illégale.

À la lumière de ces faits, il devient évident que si l’on veut sortir le Liban de la crise, il faudrait se pencher sur la problématique de la propriété privée. La route est longue et il y a du progrès à faire, notamment au niveau de la privatisation, car c’est la concurrence sur le marché qui incite à l’efficacité, et non pas la bienveillance des bureaucrates.

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