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Les fonctionnaires du secteur public, au nombre de 332.000, répartis entre civils, militaires et retraités, pourraient ne pas encaisser leurs salaires fin août, soit dans une vingtaine de jours, faute de ressources, selon la version donnée par les officiels. Ce problème est récurrent. Il ne date pas d’hier.

La maîtrise et le financement de la masse salariale des fonctionnaires n’ont jamais été une sinécure vu le déficit budgétaire chronique de l’État libanais. Il revêt cette année une importance particulière vu la crise multifacette qui traîne depuis quatre ans et la déclaration du Liban en état de cessation de paiement. À cela s’est ajoutée la position du gouvernorat de la Banque du Liban, conduit par le vice-premier gouverneur, Wassim Mansouri, qui refuse de financer les besoins de l’État en l’absence d’une loi qui l’autorise expressément à piocher dans les réserves de la banque centrale.

Masse salariale colossale

Dans cet ordre d’idées, il faut savoir que la masse salariale des fonctionnaires a été multipliée par sept depuis octobre 2019. Celle-ci est provisoire parce qu’une partie des émoluments versés est considérée comme une indemnité provisoire qui n’entre pas dans le calcul des indemnités de fin de service ou de la pension de retraite.

La masse salariale du secteur public prise en compte dans le cadre du budget 2022 a représenté trois fois celle de 2019, alors que dans le cadre du budget 2023, celle-ci est multipliée par quatre par rapport à 2022 et par sept par rapport à 2019.

Dans le cadre de la loi de Finances de 2022, approuvée en septembre de la même année, le coût des salaires du secteur public a été quelque peu soutenu par la révision du dollar douanier dont la valeur est passée de 1.500 livres à 15.000 livres, bien que cette valeur ait été à cette époque nettement inférieure à celle du marché noir.

Aujourd’hui, qu’en est-il des perspectives des sources de financement dans le cadre du budget 2023, sachant qu’il n’a pas été encore voté et que les dépenses du gouvernement sur base du douzième provisoire se font en l’absence d’une autorisation explicite du Législatif?   

7 trillions de livres libanaises  

Le Trésor doit trouver 7 trillions de livres libanaises pour s’acquitter des salaires du secteur public fin août. Ce montant représente près de 11% de la masse monétaire en circulation, évaluée à environ 66 trillions de livres. L’injection d’un tel montant pourrait perturber le marché de change, d’autant que celui-ci est dans l’expectative et se retient jusqu’à nouvel ordre d’anticiper les développements des prochains jours.

La stabilité du marché de change serait ainsi relative et provisoire: en premier lieu, l’euphorie des flux de billets verts de la diaspora en vacances dans la mère patrie continuera de faire son effet encore quelque temps. Ensuite, la vélocité de la masse en devises entre les différents agents économiques est salutaire pour l’instant, mais pourrait fort bien être neutralisée avec l’arrêt de Sayrafa, la plateforme de la Banque du Liban.

Selon des sources interrogées par Ici Beyrouth, le financement des salaires du secteur public serait possible à court terme. Le problème prendrait de nouvelles dimensions si la vacance à la première magistrature de l’État venait à se prolonger.

Disponibilité des liquidités

Est-ce que les liquidités nécessaires pour payer les salaires sont disponibles dans les tiroirs du Trésor? Le ministre sortant de l’information, Ziad Makary, a confié que le gouvernement a demandé au ministre sortant des Finances, Youssel el-Khalil, de présenter dans les prochains jours un rapport sur les droits de tirage spéciaux (DTS), détaillant la manière dont une partie a été dépensée par le Trésor et le montant disponible restant. Le recours à une partie des DTS encore disponibles pourrait représenter une option à laquelle aurait recours le gouvernement pour payer les salaires des fonctionnaires à très court terme.

Pour en revenir aux moyens de financement propres au gouvernement, les revenus en dollars de l’État constitueraient, dans le meilleur cas de figure, 35% du montant total du budget 2023 estimé à deux milliards de dollars. L’hypothèse d’une augmentation des recettes en devises pourrait se faire si l’État exigeait le paiement des droits de douane en dollars sur une certaine période. Cependant, cette option nécessiterait un amendement des lois en vigueur.

Refus des élus

Quant au vote d’un texte au Parlement autorisant la Banque centrale à financer l’État, il semble improbable pour une raison simple. Les élus, qui clament à cor et à cri depuis 2019 ne pas permettre à quiconque de toucher à l’argent des déposants, évoquant "la sacralité" de ces fonds, ne peuvent pas agir d’une façon contraire et légaliser des dépenses qui seraient alimentées par les réserves obligatoires auprès de la BDL.

Dimension sociale

La problématique du paiement des salaires revêt bien sûr une dimension sociale. Le non-versement des salaires serait aléatoire et conduirait le pays vers un chaos sans précédent. C’est qu’une augmentation de la monnaie en circulation de plus de 100% depuis juin 2022, comme conséquence aux opérations quasi budgétaires de la BDL, et la monétisation du déficit budgétaire ont contribué à exacerber l’inflation globale qui atteint 262% en glissement annuel en juin 2023.