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L’appel à la ‘réforme bancaire’, qu’on entrevoit dans les plans gouvernementaux, signifie que les banques ont violé les lois. Or la plupart des banques ont adhéré aux lois et aux circulaires de la Banque du Liban (BDL) pendant 30 ans jusqu’à ce que la crise éclate.

Par conséquent, la réforme doit s’appliquer à l’État lui-même et à la BDL et à ses circulaires, car c’est là où la déficience existe, et non l’inverse. Il ne peut y avoir de solution que sous forme de discussions entre l’État, la BDL, et les parties lésées, c’est-à-dire avec les banques et les déposants. Car il faut se rendre à l’évidence que les banques n’accepteront jamais d’effacer leurs capitaux et les dépôts, à moins que le pouvoir ne veuille gérer la crise selon la logique des gangs, ce qui est un autre débat.

Les banques ne cherchent pas à échapper à leurs responsabilités, contrairement au pouvoir qui refuse de reconnaître les dettes étatiques, alors que les banques demandent à l’État de rembourser 83 milliards de dollars (selon la ‘liaison de contentieux’ que 11 banques ont adressée récemment à l’État).

Le pouvoir pourrait-il nous informer de ce qu’il a l’intention de faire concernant cette dette avant de discuter de la restructuration des banques? Comment peut-il pousser les banques à la restructuration avant de connaître le sort de ces dépôts et de ces dettes? Comment le pouvoir pourra-t-il faire la différence entre une banque capable de poursuivre ses activités et celle qui en est incapable, avant qu’on informe chaque banque du sort de ses dépôts auprès de la BDL, et de la dette que l’État lui doit?

Le pouvoir a envenimé la crise depuis le 17 octobre 2019 jusqu’à aujourd’hui, au lieu de la résoudre. D’abord parce qu’il n’a pas adopté une loi sur le contrôle des capitaux, laissant les banques agir, chacune selon sa capacité et son bon vouloir. L’État a continué à subventionner les produits de base, vidant les coffres de la BDL de ses réserves, qui s’élevaient à environ 33 milliards de dollars. Il a permis le remboursement des prêts du secteur privé (près de 40 milliards de dollars) au taux officiel de 1.500 LL, restitués par des chèques en lollars. Il n’a promulgué aucune loi pour protéger ces dettes, qui constituent en fait l’argent des déposants.

Si le pouvoir avait accompli ce qu’on attendait de lui à ce moment-là, on aurait pu préserver environ 60% de la valeur des dépôts, et on se serait contenté aujourd’hui de chercher les moyens de récupérer les 40% restant. Alors que maintenant c’est la totalité des dépôts qu’on essaie de récupérer. Le pouvoir a insisté alors, et jusqu’à maintenant, à tout remettre à zéro, et chercher des solutions à partir de zéro.

La crise libanaise n’a pas de précédent. C’est la seule crise au monde dans laquelle les banques, l’État et sa Banque centrale ont failli à leurs obligations. C’est pourquoi le Fonds Monétaire International se trouve en butte à un problème central: comment restituer les dépôts? Le pouvoir veut-il les éliminer, ou créer vraiment un fonds pour les restituer? C’est pour cela que les solutions semblent traîner en longueur, victimes d’une tergiversation continue.

On nous accuse (les banques) d’avoir investi dans des bons de l’État, comme si l’État était un trafiquant de drogue. D’un autre côté, personne ne nous a donné une alternative. Les banques ont accordé des prêts au secteur privé d’une valeur équivalente au PIB (50 milliards de dollars). Ce qui signifie que toute l’économie libanaise reposait sur les fonds bancaires. Qu’auraient dû donc faire les banques avec l’excédent des dépôts (environ 160 milliards de dollars en tout)?

En outre, la BDL n’autorisait les banques locales à investir leurs fonds à l’étranger que dans des entités notées au moins BBB+ afin de garantir la sécurité des investissements. Sauf que ces institutions ne payaient pas plus de 1% ou 1,5% d’intérêt, ce qui n’est pas assez pour répondre aux exigences des déposants (qui demandaient 5% ou 6% ou plus). C’était comme si la BDL poussait ainsi les banques à placer l’excédent des dépôts dans ses coffres.

Je rappelle à ce propos l’adage américain ‘’you cannot fight the Fed’’ (on ne peut pas vaincre la ‘Réserve fédérale’, l’équivalent de la Banque centrale). Ce qui signifie que lorsque la Banque centrale augmente les taux d’intérêt, les banques ne peuvent pas résister à ses attraits. Aujourd’hui même aux USA, la hausse des intérêts de la Fed a conduit à absorber tout l’argent du marché et à l’attirer vers ses coffres.

Il suffit qu’une banque sur 40 au Liban accepte de prêter à l’État en échange d’intérêts élevés, pour que l’ensemble du secteur bancaire sombre, car cette banque sera capable d’attirer tous les déposants et de pousser à la faillite les autres banques.

Malgré cela, on insiste à dire que les banques ont pris un risque en plaçant l’argent des gens à la BDL, et elles doivent assumer la pénalité de leurs actions, y compris éliminer leurs capitaux propres, qui se sont d’ailleurs évaporés. De plus, le pouvoir veut d’abord et uniquement promulguer une loi sur la structuration des banques et laisser de côté les autres mesures. Une impudence sans pareil!

Concernant la hiérarchie des lois de réforme, j’estime que les premières lois qui auraient dû être approuvées dès le début et qui doivent être promulguées aujourd’hui sont la loi sur le contrôle des capitaux, puis la loi sur la régulation des finances publiques et enfin la loi sur la restructuration des banques, ou alors une promulgation simultanée des trois lois. Car c’est ainsi que les députés peuvent saisir la situation dans son ensemble. Cela facilitera indéniablement les solutions.

(*) Raed Khoury est ancien ministre de l’Économie ; il est également le chairman de la Cedrus Bank.

 

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