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Il semble que la bourse de Beyrouth est la prochaine victime du génocide étatique rampant. En réalité, ce n’est pas la bourse elle-même qui est directement visée, elle devrait continuer à fonctionner, mais l’Autorité des marchés des capitaux, qui s’occupe de sa gestion. Des infos et une rumeur persistantes font état d’une démission forcée et collective de la plupart du personnel.

Première raison de ce suicide annoncé, c’est qu’on n’a plus d’argent pour entretenir la quarantaine d’employés qui s’y trouvent. La seconde raison est que, de toute façon, ces employés n’ont presque rien à faire et, serait-on tenté de dire, qu’ils n’ont jamais eu grand-chose à faire, malgré la compétence de certains d’entre eux. On ne sait pas comment ils passent leur temps, probablement en égrenant un passe-temps en turquoise bleue, pendant qu’ils commentent le néant du jour autour d’un café amer.

Car, il faut se rendre à l’évidence: la bourse n’a jamais vraiment décollé depuis sa réouverture en 1996. Pendant ces 27 ans, elle vivotait à peine, avec une dizaine de sociétés cotées, mais dont quatre sont vraiment actives (Solidere, et les banques Audi, Byblos et Blom). Dans les jours ensoleillés, on comptait une trentaine de transactions. Par comparaison, la bourse d’Amman compte 167 sociétés ou titres cotés, et une moyenne de 3.000 transactions par jour… pour 58 employés.

Bref, on est encore au dernier rang arabe. Pour ajouter à votre déprime, on rappelle que notre bourse, née en 1920, était la seconde dans la région, après l’Égypte, et a maintenu une pole position pendant des décennies, avec, dans les années 1960, plus d’une cinquantaine de sociétés qui y étaient cotées.

Les raisons de la désaffection après-guerre peuvent être rassemblées sous deux catégories. D’abord, elle ne suit pas, ou plus, les standards du domaine boursier: elle n’est dotée ni d’un tribunal spécial, ni d’une structure de sanctions en cas d’infraction.

Ensuite, elle n’a pas suscité l’intérêt des grandes entreprises qui ont toujours opté pour les crédits bancaires pour se financer. Question de frilosité ou d’egos démesurés, les patrons ne voulaient pas d’étrangers fourrant leur nez dans leurs affaires internes, alors que l’introduction en bourse les oblige à être transparents.

Depuis la crise, c’est encore un nouvel épisode d’agonie qui s’est installé. Les actions bancaires ont suivi le déclin du secteur. L’action Solidere, en revanche, a été multipliée par 15 – une façon pour les déposants de transférer une partie de leur argent bloqué dans les banques vers une entreprise qui a encore à son actif des millions de mètres carrés constructibles. C’est toujours ça de gagné, même si toutes ces actions boursières sont libellées en lollars.

La déficience boursière n’est pas un fait divers anodin, isolé de l’économie. Son état anémique a même contribué à la crise. Explication: dans les pays développés ou émergents, les gens placent une bonne partie de leur épargne en bourse. Comme cette alternative n’existait presque pas au Liban, toute l’épargne s’est dirigée vers les banques, avec comme conséquence un gonflement anormal des dépôts, représentant, en 2018, trois fois le PIB du pays, presque un record mondial.

Et le hic était là: que pouvaient faire les banques de cette montagne de dépôts? Elles multipliaient les offres de crédit jusqu’à la saturation du marché. Mais il restait encore des dizaines de milliards de dollars de dépôts, que les banques, faute d’alternatives, plaçaient à la banque centrale – qui s’est mise en faillite, entraînant avec elle les banques et les déposants dans le fossé. Une macabre réaction en chaîne.

Maintenant qu’on se morfond dans le trou, que peut-on faire pour en sortir, en mettant la bourse à contribution? L’idée de base est l’introduction des entités étatiques en bourse après leur corporatisation – un terme à trébucher dans le dictionnaire, qui veut dire transformer un établissement public en société anonyme, puis placer une partie de ses actions en bourse, quitte à ce qu’un opérateur international gère l’activité.

Il y a même eu deux lois qui vont dans ce sens pour l’électricité et les télécoms, votées en 2002 et jamais appliquées. Néanmoins, si elles l’avaient été, vous auriez loupé le suspense haletant que le ministre sortant de l’Énergie, Walid Fayad, entretient tous les mois, autour de ce tanker irakien qui pourrait peut-être accoster avant la fin de nos réserves, ou encore raté l’ascenseur émotionnel d’Ogero pour son réseau d’internet défaillant 1G.

Pour contribuer à la résolution de la crise, la bourse doit être d’abord elle-même privatisée, comme l’avait projeté l’ancien gouverneur de la Banque du Liban. Ensuite, on peut et on doit revenir à l’idée principale de corporatiser et lister en bourse les entités étatiques à caractère commercial (y compris les ports, aéroports, casino, régie, MEA, Intra, EDL, Ogero… et des sociétés foncières exploitant les terrains de l’État). On peut même donner la priorité aux déposants lésés pour acheter des actions avec leurs lollars, qui, adossés ainsi à des valeurs physiques réelles, auront au moins une valeur qu’ils ont perdue depuis 2019.

L’idée est défendue par plusieurs économistes. Mais, en haut lieu, on préfère poursuivre l’œuvre de liquidation. C’est tellement plus facile de détruire ce qui reste de l’État, un pan après l’autre. Et tellement plus commode de gérer un vacuum: il n’y a rien à faire, à part acheter un Hoover.

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