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Une "taxe exceptionnelle" de 10%, imposée aux entreprises ayant bénéficié de la politique de subventions instaurée par l’État et introduite dans le budget 2024 en dernière minute, a soulevé une vague de colère. Les syndicats, les uns après les autres, tout comme les organismes économiques, dénoncent une amende aléatoire et, surtout, "injuste". 

Après les sociétés importatrices de pétrole qui ont suspendu, depuis mercredi matin, la livraison de fuel, c’est au tour des importateurs de médicaments et de produits alimentaires de monter au créneau et de dénoncer les taxes et les amendes aléatoires incluses dans le budget 2024, approuvé vendredi dernier par le Parlement. Ils contestent plus précisément un article qui impose une taxe de 10% aux entreprises ayant bénéficié de la politique de subventions instaurée par l’État.

Selon des sources proches des syndicats, ce serait le député Wael Abou Faour (PSP), soutenu par son collègue Georges Adwane (Forces libanaises), qui aurait introduit cet article au budget, à la dernière minute. L’intention est bonne à la base: il s’agit de renflouer le Trésor en sollicitant la contribution de ceux qui ont pu réaliser des bénéfices énormes au début de la crise, grâce à la politique de subventions de l’État. Mais l’affaire est plus compliquée, au niveau de ses conséquences surtout, puisqu’elle risque d’aggraver l’inflation, à cause de la hausse des prix qu’elle pourrait induire.

Plus encore, selon un avocat, une taxe ne peut pas avoir d’effets rétroactifs et une pénalité doit être associée à un délit.

À cela, il faut ajouter le fait que la politique de subventions officielle avait favorisé, pendant de longs mois, la contrebande, notamment en direction de la Syrie, sans que l’État se résigne à imposer un contrôle sérieux des frontières ou à lever les subventions pour préserver les réserves de la Banque du Liban.

Interrogé par Ici Beyrouth, le président des importateurs de médicaments, Joe Ghorayeb, assure que cette taxe "irrationnelle", si elle n’est pas supprimée, va "créer une nouvelle crise de médicaments sans précédent".

"L’adoption de cette amende portera inévitablement un coup dur à l’ensemble du secteur pharmaceutique légitime, mettra en danger la sécurité sanitaire des citoyens et menacera la disponibilité des médicaments au Liban", avertit-il. Il révèle que les importateurs seront dans l’impossibilité de financer l’achat de médicaments.

M. Ghorayeb rappelle que la politique de subvention, qu’elle soit bonne ou mauvaise, est une politique officielle de l’État libanais, qui a décidé de soutenir de nombreux produits vitaux, dont les médicaments. Cette politique, selon lui, a contribué à aider le consommateur à payer le prix des médicaments en plein effondrement de la livre libanaise et de la baisse du pouvoir d’achat. "Dans ce contexte, le rôle des entreprises importatrices a été restreint et continue de se limiter à faciliter le processus d’accès au médicament subventionné et à mettre en œuvre la politique de l’État, selon la tarification légale exclusivement déterminée par le ministère de la Santé".

Soixante fois les profits générés

Il explique que le gouvernement veut les taxer sur le volume du chiffre d’affaires alors qu’ils ont vendu les médicaments subventionnés au taux de change du dollar de 1.500 LL. "On nous demande de payer 60 fois les profits générés", s’insurge-t-il, en appelant à ce que les autorités "jugent ceux qui ont commis des délits" et en rappelant que "les importateurs de médicaments ont participé aux directives mises en place par le gouvernement dans le cadre d’une politique de soutien des patients".

Au passage, M. Ghorayeb relève que l’État doit 180 millions de dollars d’impayés aux laboratoires à l’étranger.

Il indique que la taille du marché annuel des médicaments était de plus d’un milliard de dollars et qu’il a diminué à cause de la crise jusqu’à environ 400 millions de dollars. "Comment les entreprises commerciales peuvent-elles faire des profits avec un marché qui a perdu environ 60% de son volume d’affaires?", s’interroge-t-il.

Et de se demander "d’un point de vue purement juridique, économique et moral, indépendamment de la question médicale, comment c’est possible d’imposer des amendes aux entreprises privées et légitimes qui respectent les lois et vendent au prix légal et dans le cadre du mécanisme adopté par l’État, alors que les contrebandiers qui ont proliféré durant la crise n’ont jamais été inquiétés".

Une taxe injuste

Même cri de colère du côté du syndicat des importateurs de produits alimentaires. Son président, Hani Bohsali, souligne à Ici Beyrouth le caractère "injuste" d’une surtaxe qui "touche les entreprises légitimes qui ont mis en œuvre de manière transparente le mécanisme de subvention sous tous ses aspects".

Il se dit étonné par "le moment choisi pour rouvrir ce dossier, environ un an et demi après l’arrêt des subventions" et met en garde contre "des tendances qui frapperont l’économie légitime et tueront les institutions légitimes".​

M. Bohsali rappelle dans ce contexte que "le syndicat, depuis la mise en œuvre de la politique de subvention, avait prévenu qu’elle conduirait inévitablement à beaucoup de gaspillages et à la corruption".

Par ailleurs, les organismes économiques libanais se sont réunis en urgence, mercredi, pour discuter de cette imposition qu’ils jugent également injuste.

Ils ont affirmé le principe de "non-rétroactivité des lois" et contesté "l’adoption d’un tel article dans le budget 2024, plus d’un an et demi après l’arrêt de la subvention d’une part et avant que la surtaxe n’ait été étudiée en profondeur dans toutes ses dimensions, d’autre part". ​

"Cette nouvelle taxe n’est que la pointe de l’iceberg du pouvoir dans ce contexte", ont protesté les organismes prévenant que "les premiers à être lésés par cette taxe sont l’économie nationale et les institutions légitimes qui se sont engagées à soutenir les mécanismes officiels de manière transparente".

Finalement, il semblerait que le gouvernement, toujours réfractaire aux réformes, veut légitimer l’illégalité en faisant payer une surtaxe de 10% à tout le monde au lieu de punir les contrevenants en les taxant à 1.000%.