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Les industries ont vu leurs factures d’électricité bondir et pourtant ils ne voient pas beaucoup le courant! Un "bazar" sans nom depuis la mise en place de la nouvelle facturation et l’installation des compteurs intelligents. Les factures se croisent, s’additionnent, se multiplient.

EDL aurait-il recours à un calcul fantaisiste pour l’émission des factures d’électricité des industries? C’est ce que pensent plusieurs industriels qui reçoivent en permanence des factures aux montants astronomiques alors que le courant leur est distribué au compte-gouttes et qu’ils ne bénéficient d’aucun soutien au vu de la situation économique désastreuse du pays.

Ces derniers se plaignent de ce que les factures ne reposent sur aucun relevé physique. Plusieurs usines ont installé des compteurs intelligents et n’ont donc plus moyen de contrôler leur consommation puisque les kWh sont enregistrés électroniquement et les données stockées et transmises à distance à EDL. D’autres s’adonnent à de véritables acrobaties pour réduire leur(s) facture(s) électrique(s).

"Environ 140 heures d’électricité en deux mois, et une facture de 21.000 dollars", s’insurge le propriétaire d’une usine qui a fini par débrancher le compteur d’EDL "parce que le courant de l’État est trop cher".

Comme lui, de nombreux industriels ont coupé le courant public, au niveau du compteur, ou ont complètement supprimé ces appareils, préférant utiliser l’énergie solaire et les générateurs, beaucoup moins coûteux, pour faire tourner leurs machines. Cette transition vers une production privée de l’électricité, représente, on l’aura deviné, un manque à gagner conséquent pour le fournisseur public d’électricité.

Des estimations

Carlo Ayoub, un des propriétaires d’Ayoub Industries, est catégorique. Il confie à Ici Beyrouth, qu’"il vaut mieux ne pas utiliser l’électricité de l’État" et qu’il est "beaucoup plus rentable de faire tourner les générateurs et de profiter de l’énergie solaire, que pouvons contrôler". Et M. Ayoub d’ajouter: "Les factures peuvent varier du simple au double alors que la consommation est plus ou moins constante. De plus, les factures sont cumulées et ne sont pas envoyées mensuellement, ce qui désorganise le budget d’une entreprise".

Un autre industriel, T.A. dénonce des factures "fantaisistes". "Il semble que le fournisseur public d’électricité se base sur la valeur d’anciennes consommations pour émettre les nouvelles factures. Or la consommation a changé et le nombre d’heures de courant fournies a diminué. On dirait que notre consommation actuelle n’est pas vérifiée puisque notre utilisation du courant, comme notre production, ont radicalement changé depuis la crise" qui a commencé en 2019, affirme-t-il.

Lui n’a pas pour autant renoncé au courant public, mais essaie de gérer, dans la mesure du possible, sa consommation d’électricité pour diminuer ses frais électriques.

S’appuyant sur une longue expérience au Liban, il relève ainsi qu’"il vaut mieux disposer de toutes les options et de toutes les sources d’énergie". "Parfois, l’électricité fournie par EDL est moins chère, parfois c’est celle des générateurs qui l’est. Pour ce qui est de l’énergie solaire, il la qualifie "d’aléatoire", précisant que quand le ciel est couvert, il est difficile de faire tourner une industrie. "Cela reste une source d’appoint", constate-t-il.

Farid Kamel, CEO de Kameltan.com, fait partie de ceux qui considèrent que "les industriels sont lésés au niveau de l’énergie fournie par l’État". Il fait tourner son usine à 75% à l’énergie solaire et le reste avec des générateurs qui restent moins chers que l’électricité fournie par EDL.

M. Kamel relève au passage qu’à cause des politiques économiques qui taxent et surtaxent les industriels, beaucoup ont fini par quitter le Liban pour s’installer en Égypte, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Nigeria, au Ghana et en Turquie où les coûts sont inférieurs à ceux pratiqués au Liban. Cet exode représente, selon lui, "un manque à gagner pour l’État qui aurait dû, au vu des crises, soutenir l’industrie libanaise".

Les industriels auraient pu s’accommoder des factures d’EDL si le courant public leur était fourni en permanence. Tous, comme pratiquement l’ensemble des Libanais, doivent payer deux factures, excessivement élevées, pour continuer de produire. Depuis de nombreuses années, le secteur de l’électricité pose un véritable problème dans un Liban miné par la corruption. Le système de production et le réseau dans son ensemble n’ont fait que se détériorer, sans aucune perspective de règlement.

Il est nécessaire de rappeler, dans ce contexte, que la dette d’EDL représente, à elle seule, près du tiers, sinon plus, de la dette du Liban.

Selon les chiffres de la Banque du Liban, le fournisseur public de courant a coûté environ 45 milliards de dollars aux finances publiques depuis 1993. Des chiffres qui concordent avec ceux de la Banque mondiale qui estime qu’environ 46% de la dette publique libanaise accumulée depuis 1992 (plus de 100 milliards de dollars) seraient attribués aux transferts du Trésor à EDL. Il est à noter qu’aucune centrale n’a été construite, ni aucun effort de modernisation entrepris entre-temps.

Une tarification fixe réduite de 52%

Face à la levée de boucliers des industriels, EDL persiste et signe: l’électricité publique reste la moins chère. La direction indique à Ici Beyrouth qu’avec la nouvelle tarification, les tarifs fixes des industriels ont été réduits de 52%. Selon ses explications, chaque KwH coûte 27 cents, "mais il faut prendre en considération le nombre d’ampères".

La direction insiste sur le fait que les factures sont le reflet de la consommation. Il rappelle par ailleurs que les 10 cents supplémentaires prélevés, calculés sur les 100 premiers KwH, ne peuvent être annulés, car il s’agit d’une subvention pour les ménages des classes pauvres et moyennes.

Le ministre sortant de l’Énergie, Walid Fayad, assure pour sa part à Ici Beyrouth, qu’"avec le soutien du ministère, EDL est en train de travailler avec les industriels pour que leur facture reflète le prix moyen requis pour le recouvrement des coûts". Cela devrait s’effectuer, selon lui, à travers une combinaison de deux mesures. "La première est la taille de souscription (ampérage), proportionnelle au besoin et à la consommation, pour que la partie fixe de la facture mensuelle ne soit pas démesurément plus élevée que la partie variable. La seconde est l’étude de la souscription de sorte que la facture moyenne par KwH n’excède pas le besoin de recouvrement des coûts", poursuit-il.

La procédure risque cependant de prendre du temps, alors que les industriels se démènent pour réduire leurs coûts. Faute de politiques de soutien, soit ils partent, soit ils débranchent leurs compteurs.

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