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On en est arrivé là, au bordel financier extrême. On s’excuse pour le terme qui semble un peu grossier, mais ça ne l’est plus vraiment. Même le Larousse, dans la deuxième définition fournie (le sens "pagaille", "désordre"), n’adjoint plus la note fam. (utilisation familière).

Cela dit, ça m’étonnerait que les esprits soient heurtés par cet abus de langage. On en est vraiment au-delà de toute terminologie outrageuse. Et les Académiciens devraient en inventer un terme spécifique pour nous (SVP M. Amine Maalouf). Quant au "bordélisme", ce serait, d’après sa syntaxe, l’élévation du terme au rang de concept, comme le capitalisme ou le matérialisme. Mais de quoi s’agit-il réellement?

Il s’agit de ce chaos gluant autour de la valeur du lollar, du dollar, puis des finances publiques et privées, puis des pratiques bancaires permises, interdites ou exigées. Et dans toutes ces sphères, on nage en plein espace nébuleux que même le pourtant éculé Franz Kafka n’aurait pas pu imaginer.

Pour les finances publiques, par exemple, représentées par le budget 2024, personne ne croit vraiment à la véracité des chiffres. Le dollar n’y a pas de valeur uniforme. Et pour le reste, on a multiplié les tarifs par des coefficients aléatoires, qui vont de 30 à 100, ou plus, ou moins. En réalité ce sera à la tête du client.

Ce qui est étonnant, cependant, c’est que le gouvernement, en présentant le projet de budget (avec un amendement ultérieur), affirmait qu’il était équilibré, avec un déficit nul. Dans la version modifiée par la commission des Finances, puis adoptée par le Parlement, les trois quarts des mesures fiscales ont été modifiées, à la baisse. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement assure qu’il sera équilibré quand même. Comme il n’y aura pas d’audit de clôture de comptes, comme c’est le cas depuis 20 ans, on ne saura jamais où est la vérité.

Le gouvernement affirme en tout cas que ce n’est pas son rôle de fixer le taux du dollar, ou du lollar. Ce serait à l’autorité monétaire de s’en charger. Mais Wassim Mansouri ne tombe pas dans le panneau, il y est déjà. Il récuse cette théorie et s’aligne officiellement sur le taux du marché, 89.500. Une position, justifiée ou non, qui met tout le monde dans un embarras nébuleux.

Prenons les déposants des banques, les circulaires donnaient droit à des paiements de 400 ou 300 dollars. Puis s’incruste une autre circulaire plus modeste, amendement de la 151, qui offre 150 dollars. Mais avec une longue panoplie de conditions qui vont écarter la plupart des déposants. Question de prudence financière, justifie-t-on. C’est à peine si on ne leur demandait pas de passer une IRM du cerveau pour s’assurer que leur utilisation de ce pactole mensuel ne sera pas démesurée, au point de déstabiliser la situation monétaire du pays.

Mais si l’on veut retirer au-delà de ce montant, quel taux faut-il utiliser? Aucune indication précise. Les banques ne peuvent appliquer le taux désormais officiel de la BDL, 89.500, au risque d’inonder le marché de livres libanaises, que d’ailleurs même la BDL ne peut fournir. Elles peuvent s’en tenir au taux de 15.000, ou pas, avec des limites de retrait uniformes, ou pas. Histoire d’envenimer encore plus leurs relations avec leurs clients, si c’est encore possible.

Passons aux entreprises et leurs comptables, tout concentrés en ce moment même sur le calcul du résultat de l’année écoulée et le bilan général des actifs et des passifs. Douteuse tentative. Elles peuvent très bien sortir gagnantes en LL (fraîches ou bancaires?), perdantes en dollars frais, équilibrées en lollars (mais selon le taux adopté). Leurs audits s’arrachent ce qui leur reste des neurones, déjà bien entamés, durant les exercices passés. Il est vrai que beaucoup d’entreprises entretenaient une double comptabilité avant 2019. Maintenant, elles en sont à cinq ou six et à chacun de choisir laquelle est la réelle.

Pour les bilans des banques, c’est encore pire. Quoi qu’elles fassent, leurs actifs et passifs, ainsi que le bilan de l’année écoulée, seront théoriques. Elles n’ont aucune idée du repère à adopter, ou alors elles choisissent des repères aléatoires pour calculer la valeur de leurs dollars, lollars, crédits, immobiliers, placements, portefeuilles de titres financiers, etc. Le culte du flou érigé en système économique, le même pour le politique et le judiciaire.

Bref, on est désolé si vous n’avez pas appris grand-chose de réconfortant en lisant cette chronique. Ce qui est devenu la norme dans les analyses disséminées un peu partout. Mais il semble que le gouvernement et la BDL s’activent actuellement pour élucider un tant soit peu l’avenir avec des projets plein les poches. On sera peut-être donc fixés sur les questions essentielles dans un proche avenir.

Ou pas.

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