Il est d’usage, dans les sociétés, qu’on trouve deux catégories de personnes ou d’entités: les constructeurs et les destructeurs. En général, cette distinction tend à être mitigée, sujette à polémique. Pas chez nous.
Chez nous, tout est clair. Il y a une catégorie dont on est fier en la voyant inaugurer un hôtel, une usine ou un commerce; en gros créer de la richesse. Et il y a une autre qui détruit la richesse. Le Hezbollah en fait partie, il en est même le chef de file, sorte de role model pour la horde de même acabit.
Il en est devenu un spécialiste, reconnu partout. Tout comme il y a des spécialistes géologues, hydrologues ou pneumologues, il y a aussi les spécialistes destructologues – le terme vient d’être inventé, en espérant qu’Amine Maalouf pensera à l’inclure dans la prochaine réunion de lexique de l’Académie.
Car un destructologue n’est pas pareil à un destructeur, c’est un étage au-dessus, un concept qui a un aspect théorique et un autre pratique, une vraie spécialité qui demande beaucoup d’efforts et de savoir-faire. N’est pas destructologue qui veut. On reconnaît son savoir-faire à sa technique infaillible et à sa capacité à bien saisir les occasions qui se présentent, ou à en inventer si elles ne se présentent pas spontanément.
Un conflit Gaza-Israël est parfait de ce point de vue, car il permet, en l’émulant au Liban-Sud, de détruire à la fois des vies, des maisons, des entreprises et des terrains agricoles, le nirvana quoi – quelques pilules de Captagon aidant. Ce n’était pas aussi facile tout le temps.
Car notre spécialiste a un CV bien fourni. Ses œuvres de destruction alignent des guerres internes et externes, des assassinats, une explosion, des crises politiques. Pendant toute cette période, depuis au moins 2004, il n’a eu à aucun moment besoin de pointer au chômage. D’où un effet économique dévastateur, à vagues successives. Car toute destruction de la richesse finira par toucher tout le monde ou presque dans une société donnée. De même que toute richesse créée finira aussi par toucher tout le monde.
À la limite, peu importe qui a l’argent, il suffit qu’il y en ait, et que cet argent circule. Évidemment, il vaut toujours mieux qu’il y ait le moins d’inégalité possible, pas seulement pour une raison morale, mais aussi économique: dix personnes qui ont chacune 100.000 dollars c’est mieux qu’une personne qui a 1 million. Mais que ce million existe et se fructifie vaut mieux que ce même million parte en fumée par un drone. Une perte pas seulement pour le millionnaire mais pour l’ensemble de la société.
C’est que ce million, dans un état normal, et un État normal, peut profiter à d’autres, selon la façon dont on l’utilise. Schématiquement, ce million sera d’abord soumis à un impôt, qui devrait être utilisé pour le bien commun. Puis le reste sera soit investi dans un projet, ce qui fera travailler des dizaines d’employés, soit déposé à la banque, qui va l’utiliser pour prêter à des dizaines de clients. Ce qui va dynamiser l’économie dans les deux cas.
A contrario, en cas de destruction du million, c’est cette même population qui va en souffrir, comme c’est le cas actuellement tous les jours.
Mais il y a pire, la destruction des vies et des biens c’est une chose, et la destruction de l’espoir et de la confiance, c’en est une autre. Et malheureusement, on est en passe de parvenir aux deux à la fois. Le Hezb peut être ainsi affublé aussi de l’attribut confiancide, encore un terme qu’on vient de créer – notre grand Maalouf aura beaucoup à faire la semaine prochaine.
Le confiancide, comme son étymologie le suggère, est la pratique systématique de tuer la confiance. On va juste en considérer un indicateur, en vogue ces temps-ci. C’est la multiplication sur les réseaux sociaux des annonces pour des investissements immobiliers à Larnaca, Athènes, Dubaï, Paris ou Batumi (Géorgie). Apparemment, l’intérêt suscité fut si grand que ces promoteurs sont passés à la vitesse supérieure: organiser des présentations live dans les hôtels de luxe de Beyrouth.
En face, d’autres annonces pullulent sur les réseaux pour des offres de vente de biens immobiliers au Liban, à 50% ou 60% de leur valeur initiale. Des appartements, mobilier inclus, dont on se débarrasse, telle une chronique d’une expatriation annoncée. Ou alors pour expatrier l’argent vers ce logement dans une Batumi que peu en ont entendu parler, et ne savaient même pas il y a deux jours où ça se trouve. Retrouver l’espoir ailleurs est ce qui compte, avec parfois en bonus «un permis de résidence européen». Faire le vide est encore un de ces fantasmes hezbollahis.
Concluons par une de ces expressions qui pointent toujours du nez dès qu’il y a un tollé devant un drame humain, économique, national: «Ce sont des dommages collatéraux inévitables, alors que notre objectif et notre cause sont tout à fait légitimes.»
Mais qu’est-ce qu’on a pu commettre comme crimes et détruire des sociétés dans l’Histoire, au nom de ces dommages collatéraux!
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