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"Ils sont partout, ils achètent tout, ils se pointent avec des liasses de billets jusqu’à Achrafieh et au Metn, à Batroun, où ils acquièrent des articles de luxe, des appartements, des terrains et des magasins." Une invasion telle que certains maires ont érigé des barrières administratives.

"Ils" sont les chiites et les sentences ci-dessus sont des convictions populaires, à défaut de statistiques vérifiées, the word on the street. Qu’est-ce qui se passe donc encore dans cette sphère taboue du communautarisme confessionnel, à la sauce économique? Le canevas peut être tissé avec quelques réalités pour obtenir le tissu économique national.

1- Il est indéniable d’abord que les partisans de Nabih Berry et de Hassan Nasrallah, entre autres, ont profité, et profitent encore, d’activités illégales lucratives, des opérations de change, des subventions de Hassan Diab et de Raoul Nehmé. "La contrebande vers la Syrie est un acte de résistance", disait même Naïm Kassem.

D’où cet aphorisme populaire que "tout est moins cher à Dahieh", puisque tout est illégal. D’où aussi ces liasses qui s’y accumulent et réapparaissent dans les arènes des marchés partout dans le pays. Et tout cela sans payer d’impôts, comme dans toute économie noire.

2- Cependant, ce visuel tape-à-l’œil est quelque peu réducteur. Si vous n’êtes pas connecté, cher compatriote chiite, à l’un de vos leaders jurassiques, vous êtes bon pour mendier un emploi mal payé ici ou là, quoique de préférence hors du secteur public (comme autrefois) car il n’est plus rentable. Ou alors aller rejoindre votre cousin en Afrique.

Ou servir de chair à canon rien que parce que vous habitez Aïta el-Chaab, en espérant que votre famille héritera d’une subvention une fois que vous aurez succombé à la folie d’une guerre sans issue. Sinon c’est votre gagne-pain de terrain d’oliviers qui va s’évaporer avec le phosphore. C’est que le Hezb, voyant que sa peuplade n’était pas assez misérable, s’est dit qu’il fallait en rajouter une couche.

Déjà la disparité économique était bien visible, entre le centre (Beyrouth et Mont-Liban) qui accapare les deux tiers de la richesse du pays et les zones périphériques. Mais là encore, ce sont les milices sur place qui sont à blâmer. C’est que personne n’ose engager des investissements significatifs dans des régions qui échappent à la loi, et où, semble-t-il, il faut prévoir un pourcentage des revenus pour le zaïm local.

Le pire est que, à part votre dénuement pécuniaire, vous avez attrapé la poisse de la mauvaise réputation, qui vous a fermé les portes du Golfe et d’autres pays, en plus de certaines de vos compatriotes, "par précaution". En gros, vous êtes suspect jusqu’à preuve du contraire. Tant et si bien qu’on a tendance à interpeller un respectable bon bourgeois: "Ah, vous êtes chiite?! Ça ne se voit pas."

3- Mais pour revenir aux fortunés des chiites, où vont atterrir leurs liasses de dollars facilement acquises? Or, on sait que les biens immobiliers les plus chers se trouvent, à part Beyrouth, en pays chrétien. Et la plupart des secteurs économiques légaux sont dominés par les chrétiens et les sunnites.

C’est une donnée avérée qui remonte loin dans le temps. Les chrétiens ont reçu une instruction poussée et opéré une ouverture internationale plus tôt que les autres, grâce aux écoles des missionnaires, à l’USJ, et au mandat français. Puis ils ont obtenu des représentations commerciales exclusives depuis des décennies couvrant plusieurs pays de la région.

Les sunnites les ont rattrapés plus tard dans bien de domaines, surtout grâce à leur urbanisation, l’AUB, et la proximité culturelle et religieuse avec les pays du Golfe.

Les chiites sont venus sur le tard dans la concurrence aux sources de richesse et n’ont trouvé que l’Afrique pour se faire une fortune… avant de s’atteler à puiser, pour certains, dans les sources mafieuses locales grâce à la mainmise milicienne.

4- Une fois ce schéma dressé, voyons… schématiquement comment circule l’argent. Un chiite lambda nouveau riche va acquérir un bien immobilier, une voiture, des bijoux, des articles de luxe et des produits de consommation courante.  Et il y a de fortes chances que l’argent dépensé tombe dans les mains de l’agent chrétien ou sunnite. Ce qui est normal, un petit pays comme le Liban ne peut ériger des frontières entre les communautés.

La morale de l’histoire? Quelle triste époque quand même qui fait qu’une telle dimension écoconfessionnelle fasse autant de ravages. Et quel sale temps qui, par ricochet, nous amène à disserter sur la religion d’un acheteur et d’un vendeur.

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