" À combien le dollar, aujourd’hui ? " est la nouvelle forme de salutation dans le vocabulaire libanais. Les secondes passent et la valeur de la livre libanaise tantôt chute et tantôt remonte. Mais pourquoi le dollar jouit-il d’une robuste stabilité, tandis que la livre libanaise est en plein manège ? Le dollar serait-il doté d’une valeur intrinsèque que la livre libanaise ne possède pas ? Mille fois non ; après tout, le dollar, comme la livre, n’est rien d’autre qu’un simple morceau de papier qui n’a pas de valeur en soi. La raison est bien plus banale que ça : c’est la confiance, voire la foi.

Si les individus valorisent le dollar, c’est tout simplement parce qu’ils lui font confiance et estiment que sa valeur sera préservée dans le temps. Le dollar n’a rien pour le soutenir (l’étalon-or a été aboli en 1971), sinon la foi aveugle des individus. Toute la finance mondiale est bâtie sur le dogme de la monnaie fiduciaire. Est-il surprenant que *" fiduciaire "* vienne du latin *fidus*, signifiant " confiance " ? Et le dictionnaire donne clairement la définition suivante du qualificatif fiduciaire : " Dont la valeur repose sur la confiance publique ".

Ce qui aurait pu prévenir la chute de la livre libanaise est une colonne vertébrale de titane ou plutôt d’or – qui est relativement difficile à obtenir. Reste donc en jeu la seule loi de l’offre et de la demande, qui détermine le prix. Si l’offre d’un bien augmente alors que la demande est stable, le prix de ce bien va diminuer. Ce qui est valable pour la tomate lors de la récolte de l’été, l’est aussi pour la monnaie.

La demande incontrôlable

Et là on revient à l’histoire de la confiance, la foi, pour expliquer l’envolée du taux de change du dollar sur le marché local. Exercice pratique simplifié : l’offre du dollar provient principalement des exportations, des transferts de l’étranger (remises des expatriés, investissements, aides…) et des dépenses des touristes. La demande est déterminée par les importations, les transferts vers l’étranger, et des besoins des Libanais qui voyagent. Tout ceci est calculable. Sauf qu’il faut ajouter ce paramètre supplémentaire qui influe sur la demande et qui est lié justement à la confiance, ou plutôt le manque de confiance dans la monnaie nationale : pratiquement, cela se traduit par la propension des résidents à courir changer leurs LL en dollars, sans besoin immédiat, dès qu’ils ont un million en poche. C’est la portion de la demande incontrôlable. Diverses sources estiment que les dollars cachés dans les bas de laine (ou transférés ailleurs) ont atteint entre 8 et 10 milliards de dollars – qui ne vont jamais être échangés sur le marché en l’absence de confiance.

Par ailleurs, le dollar est fort, même en l’absence de l’étalon-or, parce qu’il repose sur la plus grande économie mondiale. Ce n’est pas la monnaie qui fait la richesse, mais les biens et services produits dans une économie. En d’autres termes, la monnaie doit être basée soit sur une certaine quantité d’un bien palpable, comme l’or, ou alors une économie productive forte. Au Liban, on ne détient en quantité suffisante ni l’une ni l’autre. Et personne ne s’en soucie.