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Qu’est-ce-que le désert du Néguev, qu’évoque le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, en cas de "déplacement forcé" des Palestiniens de la bande de Gaza? Le 18 octobre dernier, M. Sissi, qui s’oppose à l’exode des habitants de cette enclave vers l’Égypte, a tiré la sonnette d’alarme, craignant qu’un tel déplacement "mette fin à la cause palestinienne aux dépens des pays voisins et rende impossible l’établissement d’un État de Palestine".

Il faut dire que depuis l’offensive menée le 7 octobre par le Hamas contre Israël, Tel-Aviv œuvre, par tous les moyens, à repousser les Palestiniens de Gaza vers le sud de la bande, dans une tentative de les éloigner vers l’Égypte. Démarche que refuse le Caire, pour des raisons tant politiques que sécuritaires: d’abord, pousser les Palestiniens à quitter leur terre "est une façon d’en finir avec la cause palestinienne", comme l’a déclaré le président Sissi. Ensuite, "en les déplaçant dans le Sinaï, on serait en train de déplacer la résistance et le combat vers l’Égypte", a-t-il averti. Par conséquent, si "des attaques sont lancées depuis le sol égyptien, Israël aura le droit de se défendre et de mener des représailles contre le Caire", a-t-il poursuivi, avant de préciser:  "Ceci remettrait en cause l’accord de paix signé en 1979 entre Israël et l’Égypte, en vertu duquel nous avons reconnu l’État hébreu et sommes devenus l’un des plus grands bénéficiaires de l’aide militaire américaine."

Ces propos tenus par le président Sissi constituent une réponse directe à l’appel lancé, le 15 octobre, par l’ancien vice-ministre israélien des Affaires étrangères Daniel Ayalon, qui a demandé à l’Égypte d’installer des camps dotés de tentes pour accueillir, de manière temporaire, les Palestiniens dans l’espace "presque infini" du Sinaï.

C’est dans ce contexte qu’a été avancée l’idée du désert du sud d’Israël, le Néguev. "Si déplacement forcé il y a, pourquoi ne pas opter pour le désert du Néguev? Israël pourrait, par la suite, renvoyer les Palestiniens à Gaza s’il le souhaite", a annoncé le président Sissi.

Le Néguev 

Longtemps considéré comme une zone stratégiquement importante pour l’État d’Israël, notamment par l’ancien Premier ministre israélien David Ben Gourion, le désert du Néguev (Nakab en arabe) s’étend sur une superficie de 14.000 km2 et représente les deux tiers du territoire israélien. Abritant 8% de la population israélienne, il partage ses frontières avec la Jordanie à l’est et le désert du Sinaï à l’ouest. Côté nord, il est relié à la Cisjordanie via la ville d’Hébron. Les habitants du Néguev sont principalement des bédouins, qui sont, en grande partie, des Arabes israéliens, dont le nombre est estimé à 300.000. Le désert du Néguev compte 46 villages arabes. Israël n’en reconnaît que 11. Les 35 autres, habités par la moitié des Arabes israéliens, soit 150.000 personnes, sont en proie, de manière permanente, à la destruction de la part des colons israéliens et sont privés des services publics (eau, électricité, écoles et hôpitaux).

Au fil des ans, Israël a tenté de s’emparer des terres bédouines, considérant le Néguev comme une région stratégique, et a réussi à déplacer la population arabe sous prétexte de projets de développement qui consistent, entre autres, à bâtir de nouvelles villes où les juifs israéliens sont logés.

En janvier 2022, le nombre de colonies israéliennes dans le Néguev atteignait 114. L’État hébreu y a construit plusieurs installations, notamment des bases militaires et des aéroports, dont celui de Ramon. L’une des universités israéliennes les plus importantes, l’Université Ben Gourion de Beer Sheva, y a également été établi.

Le Néguev abrite, par ailleurs, la centrale nucléaire de Dimona, le cœur présumé du programme nucléaire militaire d’Israël.

Une affaire de troc 

Échanger le désert du Néguev contre une partie du Sinaï? C’est ce à quoi aspirerait Israël, selon des experts du dossier. L’idée n’est pas récente. Elle a été proposée dans le passé, lors des négociations qui ont abouti à la signature, en 1979, du traité de paix israélo-égyptien. Les Israéliens avaient alors tenté de conclure le marché suivant avec l’ancien président égyptien Anwar Sadate: lui accorder une partie du désert du Néguev en contrepartie de certaines parcelles du Sinaï. Sadate avait accepté l’offre, à une seule condition: pouvoir décider des zones que mettrait l’État hébreu à sa disposition. Son choix est tombé, entre autres, sur le port israélien d’Eilat, le seul sur la mer Rouge, crucial pour le commerce, pour les échanges avec l’Afrique et l’Asie et pour les importations de pétrole pour Israël. L’affaire est alors abandonnée. Elle a, plus tard, été relancée, lorsque l’ancien président Hosni Moubarak était au pouvoir. En vain.

En janvier 2010, Giora Eiland, général israélien à la retraite et ancien chef du Conseil national de sécurité israélien, rédige un document qu’il intitule: "Alternatives régionales à la solution des deux États" palestinien et israélien. Dans le chapitre 5, placé sous le titre "Solution régionale: Échange de territoires", M. Eiland avance ce qui suit: "Pour améliorer leurs relations avec Israël, les pays arabes devraient renoncer à certaines parties de leur territoire."

Le document explique: l’Égypte cèderait à Gaza un terrain de 720 km2. Il s’agit d’une parcelle rectangulaire, s’étendant, d’une part, sur 24 km le long de la côte méditerranéenne depuis Rafah à l’ouest, jusqu’à Arich (non-compris) et, d’autre part, sur 30 km depuis Kerem Shalom jusqu’au sud. La superficie de la bande de Gaza, qui s’étend sur 365 km2, triplerait ainsi. Dans ce même document, M. Eiland poursuit: "Cette parcelle de 720 km2 équivaut en superficie à environ 12% de la Cisjordanie. En contrepartie de son annexion à la bande de Gaza, les Palestiniens renonceront à 12% de la Cisjordanie, au profit d’Israël. En échange des terres cédées à la bande de Gaza par l’Égypte, Israël se désistera d’un territoire (dont la superficie pourrait atteindre, au maximum, 720 km2) dans le sud-ouest du Néguev", à savoir le Paran.

Selon certains observateurs, accepter de renoncer à cette partie du désert du Néguev traduirait le désir israélien de s’en décharger en échange de terrains plus riches en ressources et utiles pour les projets israéliens de colonisation ou de déplacement des Palestiniens vers les pays voisins.