Souvent plus mesurée que ses alliés occidentaux, la France a longtemps privilégié une politique médiatrice entre Israël et les Palestiniens. Mais les récentes prises de position du président Emmanuel Macron largement en faveur de l’État hébreu, semble sonner le glas de la position traditionnelle française initiée par le général de Gaulle.

À la création d’Israël en 1948, la France a d’abord été un soutien de poids pour le jeune État hébreu. De Gaulle entretenait, en effet, d’excellente relation avec le Premier ministre israélien David Ben Gourion et a largement soutenu les besoins d’armements d’Israël avant même les États-Unis.

La France avait d’ailleurs voté en faveur du plan de partage de la Palestine par l’ONU le 29 novembre 1947. La livraison de nombreux Mirages va permettre à Israël d’assoir sa supériorité militaire et Paris va fortement soutenir son programme nucléaire.

Possédant la plus importante communauté juive et musulmane d’Europe, la France doit cependant marcher sur des œufs.

Réorienter la politique française

Après la guerre d’Algérie et la crise du canal de Suez, la France a cherché à retrouver sa place auprès des pays arabes. D’autant que l’émergence des hydrocarbures représentait une nécessité de plus en plus importante pour l’économie.

Favorable à un monde multipolaire, de Gaulle a voulu faire de la France une puissance médiatrice indépendante en quittant le giron américain. Une aspiration qui l’a incité à mener une politique équilibrée entre Israël et les autres pays de la région.

Multipliant les contacts diplomatiques avec les pays arabes, la France va accueillir le grand mufti de Jérusalem Mohammed Amin al-Husseini qui était recherché par la Grande-Bretagne. Une politique qui va porter ses fruits : en 1966,

 

 

 

 

la plupart des pays arabes avaient rétabli leurs relations avec Paris.

Ayant retrouvé une position favorable dans la région, la France voulait éviter à tout prix une nouvelle guerre qui pourrait mettre à terre tous ses efforts.

La fin d’une entente

À l’aube de la guerre de 1967, de Gaulle sent les évènements se précipiter et décide de mettre en place un embargo préventif sur la vente d’armes à Israël. Parallèlement, en mai, il demande aux Israéliens de ne pas attaquer l’Égypte, sans succès…

Une décision qui provoque un changement dans la politique française. Le 27 novembre 1967, Charles de Gaulle prononce alors son célèbre discours qui sonnera le glas de la grande coopération franco-israélienne.

Il y critique le sionisme qui s’est établi sur des terres " qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables ", et les juifs " un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ". Face à un " un État d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir ", il fustige " l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il apparaît contre lui une résistance, qu’il qualifie à son tour de terrorisme ".

Mais c’est surtout l’attaque de l’aéroport de Beyrouth en 1968 par un commando israélien à l’aide d’hélicoptères de fabrication française qui va finir d’enterrer la bonne entente israélo-française. De Gaulle décrète alors un embargo sur tous les équipements militaires contre Israël. Une décision qui va projeter l’État hébreu dans les bras des Américains.

Après de Gaulle, la continuité

Après de Gaulle, les présidents successifs vont maintenir le cap de la politique française. En plus de profiter d’accords fructueux de ventes d’armes avec les pays arabes, le président Pompidou va développer une diplomatie européenne pour tenter de résoudre le conflit israélo-palestinien. Ses critiques sur les colonies illégales et la mention du droit des réfugiés palestiniens va accélérer la dégradation des relations franco-israéliennes.

Sous Giscard, la France ouvre le dialogue avec Yasser Arafat et permet l’installation d’une représentation officielle de l’OLP à Paris. Le président français accroit également les ventes d’armements militaires à destination de l’Irak et de l’Arabie Saoudite. Israël se sent alors menacé, d’autant que la France souhaite faire de l’OLP un acteur incontournable. Dans cette dynamique, elle reconnait les " droits inaliénables du peuple palestinien en Palestine " et vote le 22 novembre 1974 la reconnaissance de l’OLP en tant que membre observateur de l’ONU.

Plus mesuré, François Mitterrand se rend en Israël en 1982, une première pour un président français. Mais il reçoit Yasser Arafat comme un président à l’Élysée le 2 mai 1989 et soutient le droit des Palestiniens à un État. Il assure également la protection de l’OLP lors de l’opération Paix en Galilée lancée par Israël au Liban en 1982.

Très aimé par les Palestiniens, Jacques Chirac va provoquer l’ire des Israéliens en refusant d’intervenir en Irak et en entretenant de bonnes relations avec Arafat. On se souvient alors de sa célèbre phrase " what do you want ? Me to go back to my plane and go back to France ? ", lors d’une altercation avec la police israélienne le 22 octobre 1996. Une réaction et des positions politiques qui vont augmenter l’aura de la France dans les pays arabes.

Un alignement progressif depuis Sarkozy

La présidence de Nicolas Sarkozy va marquer un premier infléchissement de la politique française. On assiste à un alignement progressif sur la politique américaine, qui commence par la réintégration du pays dans le commandement intégré de l’OTAN. Le nouveau président éprouve une profonde sympathie pour Israël, mais le refus de l’État hébreu de toutes négociations et le soutien français à un État palestinien laisse les relations tendues.

Des tensions qui se maintiendront sous François Hollande. Le 29 novembre 2012, la France vote pour l’admission de la Palestine à l’ONU en tant qu’État observateur non-membre. Une décision qui provoque l’ire d’Israël. Devant la Knesset, il affirme : " La position de la France est connue : c’est un règlement négocié pour que les États d’Israël et de Palestine, ayant tous deux Jérusalem pour capitale, puissent coexister en paix et en sécurité ".

L’élection d’Emmanuel Macron le 7 mai 2017 va marquer un changement plus brutal de la politique française. La même année, il invite Benjamin Netanyahu à la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv. Dans son discours, il affirme alors que l’antisionisme est " la forme réinventée de l’antisémitisme ".

Macron face au 7 octobre

Dans le sillage de l’attaque du Hamas le 7 octobre, Emmanuel Macron va affirmer la " solidarité " de la France, soulignant le droit des Israéliens " à se défendre ". Fustigeant les " terroristes " du Hamas qui " n’offrent rien d’autre au peuple palestinien que davantage de terreur et d’effusion de sang ", il tardera à s’inquiéter des bombardements massifs sur Gaza.

Une position qui va ternir la réputation de la France dans les pays arabes, en témoigne les fortes manifestations, notamment à Tunis et à Beyrouth. En comparant le Hamas à l’État Islamique et proposant que la coalition internationale contre Daech soit utilisée contre le Hamas, Emmanuel Macron tranche avec la politique traditionnellement mesurée de la France. Une proposition qui a d’autant plus surpris, qu’elle n’était soutenue ni par Israël ni par les États-Unis. Devant le président palestinien Mahmoud Abbas, il déclare également que " l’avenir des Palestiniens passe par une lutte  "sans ambiguïté " contre le terrorisme ".

Des déclarations qui vont mettre le président français dans une position délicate, tant auprès de ses partenaires arabes qu’au sein de la population française. Le muselage des positions propalestiniennes ainsi que l’interdiction des rassemblements de solidarité avec les Palestiniens (seul pays d’Europe avec la Hongrie) va accroitre l’instabilité de sa position. Face au mécontentement d’une partie de sa population et des pays arabes, Emmanuel Macron va devoir faire un choix tout en ménageant sa population juive. Un jeu d’équilibriste qu’avaient bien compris ses prédécesseurs…