Poutine est en colère, ses plans ont partiellement échoué. Il pensait prendre le pouvoir en Ukraine en quelques jours, le voilà embourbé dans un conflit qui s’enlise. Il pensait que les dirigeants occidentaux n’allaient pas réagir, il fait subir à sa Russie des sanctions douloureuses et qui peuvent être dangereuses pour son pouvoir. Pour toutes ces raisons, Poutine est en colère et la colère est une courte folie. Tel un taureau enragé dans l’arène, il ouvre sa boîte à outils pour choisir ce qui peut faire tourner la situation à son avantage.
Qu’est-ce que la Russie peut-elle lui offrir?
Des armes non conventionnelles, nucléaires ou chimiques. Les chimistes ne manquent pas au siège du FSB. Novitchok, dioxine, sarin et même plutonium, tout a été expérimenté sur des opposants, des dissidents, et même des chefs d’Etat. Après tout, qui a bougé le petit doigt quand des Syriens ont été massacrés au chlore?
L’apport de soldats irréguliers, il a Wagner, les Tchétchènes et pourquoi pas des Syriens. Même si ces guerriers aguerris au combat de rue ne pourront pas être efficaces dans le climat glacé de l’Ukraine, l’effet de l’annonce suffira pour intimider les ennemis. Après tout c’est l’heure de faire payer l’addition pour Assad, Poutine ne l’a pas aidé par conviction baassiste, par élan panarabisant et encore moins par entraide envers un allié de longue date.
Poutine en colère devient imprévisible, et ceci est grandement inquiétant. Et puis il y a des preuves qu’il est en colère et imprévisible. Depuis l’époque soviétique où officier du KGB qu’il était, il applique la même stratégie, il n’a pas appris d’autres: accuser l’ennemi d’un crime dans le but de légitimer le sien. La " maskirovka ", une " fausse histoire toute prête " pour défendre son action.
Jeudi, une manifestation orchestrée par le régime Assad a mobilisé des jeunes arborant les drapeaux des deux pays pour exprimer le soutien des Syriens à l’opération militaire spéciale " russe. Vendredi, il demande au chef de l’armée d’accepter les demandes des volontaires syriens qui se précipitent à la porte de Moscou. Jeudi, il accuse l’Ukraine de développer des armes chimiques. Il s’insurge et convoque en urgence une réunion du Conseil de sécurité pour débattre sur ce danger. Comprenez: Poutine veut déployer des combattants syriens et expérimenter encore quelques flacons dont il s’est servi à la Ghouta et au théâtre Doubrovka.

 

Le Kremlin a jeté un pavé dans la mare vendredi, se disant favorable au déploiement de combattants syriens en Ukraine, réponse, selon Moscou, à l’acheminement en soutien à Kiev de " mercenaires " à la solde des Occidentaux. La nationalité de ces guerriers présentés comme bénévoles ne doit rien au hasard. La Russie a apporté un soutien militaire considérable au régime syrien depuis l’automne 2015, appuyant ses forces contre celles de l’opposition et celles des jihadistes, sauvant de facto le pouvoir de Bachar al-Assad qui contrôle désormais l’essentiel de la Syrie.

L’envoi de Syriens sur le front ukrainien a été proposé vendredi par le ministre de la Défense Sergueï Choïgou au président Vladimir Poutine, qui s’est empressé d’approuver lors d’une réunion de son conseil de sécurité. " Si vous voyez que des gens veulent y aller volontairement (…) et aider ceux qui vivent dans le Donbass (est de l’Ukraine, ndlr), alors il faut aller à leur rencontre et les aider à rejoindre la zone de combat ", a dit le maître du Kremlin.

Puis son porte-parole, Dmitri Peskov, a détaillé l’idée. M. Choïgou " a dit, qu’avant tout, ceux qui veulent, qui ont demandé sont des ressortissants du Proche-Orient, des Syriens ", a-t-il dit. " Si le monde occidental est si enthousiaste à l’idée de la venue de mercenaires divers et variés, alors de (notre) côté on a aussi des volontaires qui veulent participer ", a insisté M. Peskov, semblant faire référence à la création d’une légion d’étrangers au sein des forces armées ukrainiennes. Selon M. Poutine, " les parrains occidentaux du régime ukrainien ne se cachent même pas " et rassemblent " des mercenaires du monde entier pour les envoyer en Ukraine ".

Vendredi après-midi, la télévision d’Etat russe diffusait elle des images non-datées fournies par le ministère russe de la Défense montrant une manifestation de Syriens, fidèles du régime. En uniformes et armes à la main, ils y sont rassemblés sur fond de banderoles aux couleurs de la Russie et frappées du portrait du président russe. " Des vétérans viennent aux sites de recrutement des forces armées syriennes et veulent savoir si l’on recrute des volontaires pour être au côté de la Russie, comme elle l’a été avec la Syrie ", a détaillé le ministère, selon les médias russes.

L’entrée en nombre dans le conflit ukrainien de combattants étrangers marqueraient une nouvelle escalade. Le président russe a à plusieurs reprises insisté ces derniers jours sur le fait que les combats s’arrêteront quand l’Ukraine et l’Occident cèderont à ses exigences, notamment la neutralité et la " démilitarisation " de son voisin occidental ainsi que la reconnaissance de la souveraineté russe sur la péninsule de Crimée, annexée en 2014.

Le spectre de l’arme chimique
Par ailleurs, les Occidentaux s’inquiètent ouvertement d’une possible utilisation d’armes chimiques en Ukraine par Moscou, que les ratés de son offensive militaire rendent encore plus imprévisible, faisant ressurgir le spectre des atrocités commises par le régime de Damas en Syrie.

La Russie " paiera le prix fort si elle utilise des armes chimiques " dans sa guerre contre l’Ukraine, a prévenu vendredi le président des Etats-Unis Joe Biden lors d’un discours à la Maison Blanche. Depuis mercredi, Américains et Britanniques affirment que la Russie pourrait avoir recours à des armes chimiques en Ukraine. Signe selon eux que la Russie envisage ce scénario, Moscou accuse Washington et Kiev de gérer des laboratoires destinés à produire en Ukraine des armes biologiques et chimiques, prohibées au plan international. Moscou a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU dese réunir en urgence sur ce sujet, malgré le ferme démenti de Kiev et Washington.

" Le Kremlin répand intentionnellement des mensonges purs et simples selon lesquels les Etats-Unis et l’Ukraine mènent des activités liées à des armes chimiques et biologiques en Ukraine ", a réagi mercredi le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price. Moscou avait déjà accusé en 2018 les Etats-Unis de mener secrètement des expérimentations biologiques dans un laboratoire de Géorgie, une autre ex-république soviétique qui, comme l’Ukraine, ambitionne de rejoindre l’Otan et l’Union européenne.  Il existe bien dans le pays des sites pouvant se prêter à des attaques sous faux drapeau: l’Ukraine dispose " d’installations de recherche biologique ", a confirmé la numéro trois de la diplomatie américaine Victoria Nuland, en soulignant que les Etats-Unis étaient " à présent assez inquiets de la possibilité que les forces russes tentent d’en prendre le contrôle ".

Les Russes " commencent par dire qu’il y a des armes chimiques stockées par leurs opposants ou par les Américains. Et donc, quand eux-mêmes déploient des armes chimiques, comme je crains qu’ils le fassent, ils ont une sorte de maskirovka " – terme russe qui désigne l’art de tromper l’ennemi – " une fausse histoire toute prête ", a abondé mercredi le Premier ministre britannique Boris Johnson. La Russie est l’un des 198 pays signataires de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, entrée en vigueur en 1997, et a officiellement achevé la destruction de 100% de ses 40.000 tonnes d’armes chimiques.

Mais ces dernières années, les Occidentaux ont attribué à Moscou deux affaires d’empoisonnement à l’aide d’un agent neurotoxique, le Novitchok, visant l’opposant aujourd’hui emprisonné Alexeï Navalny (2020) et l’ancien espion russe Sergueï Skripal, en Angleterre (2018). La Russie s’est par ailleurs montrée complaisante avec le régime de Damas en niant toujours l’utilisation répétée d’armes chimiques par la Syrie contre les populations civiles. Ces crimes sont très largement restés impunis. En 2013, le président américain Barack Obama (2009-2017), qui en avait pourtant fait une " ligne rouge ", avait renoncé à des frappes punitives en Syrie.

L’hypothèse d’un recours aux armes chimiques en Ukraine inquiète également la France, alors que l’armée russe ne remporte pas les succès escomptés. L’invasion russe lancée le 24 février " devait montrer la force de la Russie, c’est l’inverse qui se produit. Cela rend (le président russe) Vladimir Poutine d’autant plus imprévisible ", prévient le chef d’état-major français, Thierry Burkhard, dans une lettre envoyée mercredi à ses officiers généraux. " Vladimir Poutine n’est pas entré dans cette guerre pour la perdre. En cas d’enlisement ou d’humiliation, l’emploi d’armes sales ou d’armes nucléaires tactiques fait partie des possibilités ", renchérit un haut gradé, sous couvert d’anonymat.  " La Russie a raté son entrée en guerre. Il faut sauver la face pour le Kremlin ", fait valoir Mathieu Boulègue, spécialiste de la Russie au centre de réflexion britannique Chatham House. " Le chimique, c’est un vecteur qu’il pourrait tout à fait utiliser. Ce n’est pas improbable ".

En Ukraine, l’arme chimique " serait destinée à terroriser la population civile et la forcer à fuir. Mais ce n’est pas une arme qui changerait la face de la guerre. Une arme tactique nucléaire qui raserait une ville ukrainienne, oui ", prévient Mathieu Boulègue.  Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), spécialiste des armes chimiques, se montre plus circonspect. " On franchirait une marche supplémentaire dans la terreur et donc la désapprobation des opinions publiques internationales, ce qui risquerait également de renforcer le régime de sanctions qui est déjà extrêmement sévère ", juge-t-il.

Avec AFP

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