Au 16ᵉ jour de leur invasion, les Russes ont élargi leurs zones d’offensive en pointant leurs missiles et leurs artilleries sur plusieurs villes situées au centre et à l’est de l’Ukraine. Pour la première fois, les bombes russes se sont abbatues sur la ville de Dnipro (ci-devant Dniepropetrovsk) située au centre du pays sur le fleuve Dniepr, ainsi que les villes avoisinantes comme Kryvy Rig, Kremenchug, Nikopol et Zaporijie. Plus à l’est, Lutsk et Ivano-Frankivsk ont également étaient ciblées, tandis que l’effort principal de l’armée russe se concentre sur la capitale Kiev et, surtout, la ville de Marioupol située sur la mer d’Azov. La ville et son port sont bombardés à l’artillerie de façon constante depuis 10 jours. Les Russes et les milices pro-russes en provenance des républiques séparatistes du Donbass veulent en effet occuper cette ville stratégiquement importante pour l’avancée de leurs troupes car sa prise permettra la jonction avec les troupes déferlants du Nord, où elles ont du mal à s’emparer d’une autre ville stratégique, celle de Kharkiv.  Marioupol est devenue une ville martyre d’où proviennent chaque jour des récits décrivant une situation catastrophique pour les rares habitants assiégés, dépourvus d’électricité, de carburants, d’eau et de vivre. La ville est réduite à un amas de destruction. Après le cri de désespoir d’une équipe du HCR sur place jeudi, MSF a déclaré vendredi que Marioupol risque " une tragédie inimaginable ", au point qu’on puisse comparer sa situation à celle de la ville de Guernica, détruite par les franquistes avec l’appui de l’aviation nazie durant la Guerre civile espagnole.

 

Marioupol, un port stratégique du sud de l’Ukraine, encerclé et constamment bombardé par les Russes, est dans une situation " désespérée ", selon un haut responsable de MSF, qui appelle à agir pour éviter " une tragédie inimaginable ". " C’est vraiment quasi désespéré ", a admis Stephen Cornish, le patron de MSF Suisse et l’un des coordinateurs de l’action de l’ONG en Ukraine depuis le début de l’invasion russe le 24 février. " Des centaines de milliers de personnes (…) sont littéralement assiégées ", dit-il dans un entretien à l’AFP.  " Les sièges sont une pratique médiévale qui a été interdite par les lois modernes de la guerre, et ce, pour une bonne raison ", estime-t-il, en raison des souffrances infligées aux populations civiles, qui ne peuvent se mettre en sécurité.

A Marioupol, il n’y pas de chauffage, pas d’eau et la nourriture commence aussi à manquer. Les bombardements sont incessants. Les autorités militaires locales estiment que 1.207 personnes sont mortes dans la ville, mais comme pour la plupart des bilans, il n’est que partiel, beaucoup de corps se trouvant sans doute sous les décombres.

Stephen Cornish rappelle que le droit international " exige de protéger les civils, ils doivent voir leurs besoins de base assurés: nourriture, eau, médicaments et très certainement pouvoir rester en dehors du conflit ".  " Comme on peut le voir, et pas seulement à Marioupol, mais aussi selon des informations crédibles qui parviennent de Kharkiv et Dnipro et d’autres endroits, tous les efforts nécessaires ne sont pas faits pour épargner les civils ", dit le responsable humanitaire, maniant la litote.  " Nous nous acheminons réellement vers une tragédie inimaginable ", met-il en garde avant d’ajouter: " Il est encore possible de l’éviter et il nous faut l’éviter ".

MSF a plus de 100 personnes sur le terrain en Ukraine. L’ONG a réussi à ouvrir une clinique mobile vendredi dans la ville de Vinnytsia, dans l’ouest du pays, pour s’occuper des innombrables personnes déplacées par les combats. Mais le principal défi, c’est surtout le nombre très important de zones soumises en même temps aux combats. " Il y a des dizaines d’endroits qui ont besoin d’une aide médicale d’urgence et nous ne sommes tout simplement pas encore en mesure de le faire ", reconnaît-il.

Pour Stephen Cornish, comme pour le monde entier, le bombardement par les Russes d’un hôpital pour enfants de Marioupol " est réellement choquant pour nos consciences, pour notre humanité ". " C’est totalement inadmissible, et il n’y a pas de mots pour comprendre comment cela peut être permis à notre époque ". Le bombardement a fait trois morts, dont un enfant et a totalement dévasté les installations.

Si MSF n’avait personne à l’hôpital, un certain nombre de collaborateurs et leurs familles sont enfermés dans Marioupol.  D’autres infrastructures hospitalières ne sont pas épargnées. Au 11 mars, l’OMS répertoriait une trentaine d’attaques sur des ambulances, du personnel médical et des infrastructures de santé. Ces attaques, qui ont fait 12 morts et 34 blessés, sont potentiellement des crimes de guerre.

L’équipe de MSF sur place continue à pouvoir communiquer.  " Je peux vous dire que nous attendons ces communications avec beaucoup d’impatience, et nous sommes soulagés quand nous avons des nouvelles et qu’ils vont bien ", reconnaît Stephen Cornish.  Mais le niveau de violence empêche l’équipe " de continuer à apporter de l’aide dans les structures hospitalières " et ça " c’est totalement inadmissible à notre époque ", s’insurge l’humanitaire.  " Il faut tout faire pour assurer que nous restaurions de la dignité et de l’humanité ".

Les rares nouvelles sortant de Marioupol racontent le désespoir
Des corps abandonnés dans les rues, les civils tentant de fuir bombardés: les très rares informations émanant du port ukrainien de Marioupol racontent le désespoir des habitants piégés dans la ville assiégée par l’armée russe. Ceux qui ont pu sortir cherchent maintenant par tous les moyens à avoir des nouvelles de ceux qui sont restés dans cette ville où les communications sont coupées quasiment en totalité depuis plus d’une semaine. Quelques rares endroits dans la ville permettent encore d’obtenir parfois un faible signal téléphonique.

Ioulia, une institutrice de 29 ans qui a fui Marioupol le 3 mars, explique que sa belle-mère, restée là-bas, a réussi à l’appeler à partir d’une tour loin de chez elle. " C’était vraiment dangereux pour elle de faire ce trajet " dans la ville bombardée, mais elle a réussi à faire savoir à son fils et sa belle-fille qu’au moins elle était toujours vivante. " Elle nous a dit qu’elle allait bien, mais que les attaques sont incessantes. Il y a des corps dans les rues, personne ne les enterre. Ils peuvent rester là plusieurs jours, jusqu’à ce qu’un camion de la municipalité vienne les récolter et les dépose dans une immense fosse commune ", a-t-elle raconté à l’AFP.  La ville est sans eau, sans gaz, sans électricité, sans communications, et ces derniers jours on y voyait des gens se battre pour de la nourriture.

En-dehors, les familles espèrent des nouvelles. Elles sont nombreuses à poster par exemple sur l’application de messagerie Telegram photos et informations sur leurs proches restés là-bas, espérant que quelqu’un puisse avoir des nouvelles.

Ioulia et son mari sont parmi les rares personnes qui ont réussi à fuir Marioupol depuis le début du siège, après avoir passé, la peur au ventre, des postes de contrôle russes.  A un moment, il y avait des gens qui tentaient de fuir à pied. Un obus est tombé à 50 mètres d’eux. Ils ont tous commencé à supplier ceux qui étaient en voiture de les prendre, mais rares étaient celles qui avaient des places libres, raconte-t-elle.  " Sur la route, nous avons vu des voitures civiles brûlées, parfois renversées sur le côté. Nous avons compris que les Russes leur avaient tiré dessus ", explique-t-elle encore. " Alors que nous étions déjà à deux kilomètres de Marioupol, nous avons vu des Russes, avec leur équipement militaire marqué de la lettre " Z ". Nous avons pensé que c’était la fin, qu’ils allaient nous tuer ", ajoute-t-elle encore.

Selon les estimations de l’administration régionale, plus de 1.200 personnes ont été tuées depuis le début du siège, mais ce chiffre ne tient pas compte des corps qui pourraient se trouver sous les débris des immeubles détruits.  Les tentatives d’établir des corridors humanitaires pour permettre aux civils de partir ont échoué à plusieurs reprises, les deux parties s’accusant mutuellement de l’échec.

Iana Karban, 30 ans, explique qu’elle vient de recevoir de ses parents, via une voisine qui a pu joindre sa fille très brièvement, un message désespéré: " C’est le désastre total dans l’immeuble. On vient d’être bombardés et huit appartements sont en feu ".  Elle a envoyé à l’AFP des photos envoyées par une autre voisine, qui montrent des éclats d’obus dans l’armoire de sa chambre.  " Ils veulent quitter la ville, mais ce n’est pas possible. Les obus tombent partout, tout le temps. Ce n’est même pas possible de sortir dans la rue ", explique-t-elle.  Depuis, personne n’a réussi à joindre qui que ce soit dans leur quartier, et Iana ne sait pas ce que sont devenus ses parents et leurs voisins.

L’offensive russe s’élargit

Jusqu’ici épargnée par la progression des soldats russes, Dnipro, une cité industrielle d’un million d’habitants sur le Dniepr, le fleuve qui marque la séparation entre l’est en partie prorusse de l’Ukraine et le reste de son territoire, a été la cible de raids qui ont fait au moins un mort, ont dit les autorités locales. " Il y a eu trois frappes aériennes sur la ville, sur un jardin d’enfants, un immeuble d’habitations et une usine de chaussures (…) où un incendie s’est ensuite déclaré ", ont raconté les services d’urgence ukrainiens.

Ajoutant son cortège d’images de désolation à celles de Kharkiv (nord-est) et de Marioupol (sud-est), dont 1.582 habitants ont péri pendant son siège, Dnipro s’est réveillée hébétée, dans un décor de bâtiments calcinés, éventrés ou soufflés. On pouvait voir sur des images vidéo des sapeurs-pompiers éteindre des flammes dans des ruines fumantes. Certains immeubles n’étaient plus qu’un amas de poutres et de structures métalliques tordues. (VOIR VIDEO)

Après un hôpital pédiatrique mercredi à Marioupol, sur la mer d’Azov, un établissement pour personnes handicapées près de Kharkiv, dans le nord-est, a été atteint vendredi par une frappe, qui n’a toutefois pas fait de victimes.  D’après le chef de l’administration régionale, Oleh Sinegoubov, 330 personnes – dont 10 sont en fauteuil roulant et 50 à mobilité réduite – étaient sur les lieux au moment de l’attaque.

Un bilan officiel fait par ailleurs état de quatre soldats ukrainiens tués et six blessés dans le bombardement de l’aéroport militaire de Lutsk, dans le nord-ouest de l’Ukraine. Celui d’Ivano-Frankivsk, dans l’extrême ouest, a aussi été visé.  Ces bases ont été " mises hors service ", a affirmé le ministère russe de la Défense.  Des raids aériens nocturnes ont également eu lieu au-dessus des villes de Tchernihiv (nord), Soumy (nord-est) et Kharkiv, endommageant des immeubles d’habitations.

Et la situation humanitaire ne cesse de s’aggraver dans les localités assiégées ou menacées par l’offensive russe.  A la morgue de Mykolaïv, une cité des bords de la mer Noire sous le feu russe depuis des jours, les cadavres s’entassent à même le sol et dans la cour de l’établissement, sur laquelle la neige tombe sans discontinuer, a constaté l’AFP.  " Nous avons repoussé l’ennemi hors des limites de notre ville ", a assuré le gouverneur de la région Vitaly Kim.

Les Russes continuent aussi leur manoeuvre d’encerclement de Kiev. Après avoir atteint ses faubourgs, ils cherchent à éliminer les défenses dans plusieurs localités à l’ouest et au nord de la capitale pour la " bloquer ", a déclaré l’état-major ukrainien.  " Kiev est un symbole de la résistance " qui se prépare à une " défense acharnée ", a proclamé dans une vidéo Mykhailo Podolyak, un conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky.  Près de 20.000 personnes ont déjà évacué mercredi et jeudi de la capitale et de ses environs, quelque 100.000 au total ces deux jours de l’ensemble des zones en proie aux combats en Ukraine.

L’armée russe ralentie ?

" L’ennemi n’a obtenu aucun succès significatif ces dernières 24 heures, il a été stoppé dans presque toutes les directions par nos missiles, nos frappes aériennes et terrestres ", a affirmé Oleksiy Arestovytch, un autre conseiller de M. Zelensky.

Un ralentissement de la progression des soldats russes que constatent aussi des sources militaires occidentales, tandis que le président Vladimir Poutine a donné son feu vert à l’envoi de combattants " volontaires ", notamment en provenance de Syrie.  " C’est une guerre avec un ennemi très têtu (…) qui a décidé d’embaucher des mercenaires contre nos citoyens. Des assassins de Syrie, d’un pays où tout a été détruit par les occupants, comme ils nous le font subir à nous ", a réagi le chef de l’Etat ukrainien.  Le maître du Kremlin a de plus demandé à son ministre de la Défense Sergueï Choïgou de lui proposer des redéploiements militaires à la frontière occidentale de la Russie, en réponse à ceux de l’Otan en Europe orientale.

La guerre a déjà poussé plus de 2,5 millions de personnes à se réfugier à l’étranger, majoritairement en Pologne, et environ deux millions ont été déplacés en Ukraine même, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Avec AFP

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