Le parquet de la cour d’appel de Beyrouth a peut-être une occasion en or pour enquêter au sujet de possibles affaires de corruption, sur base des documents présentés mardi par le directeur général des adjudications, Jean Ellieh.

Un nombre impressionnant de documents sous le bras, ce dernier a comparu le matin devant le procureur près la cour d’appel, Ghassan Khoury, dans le cadre de l’action en diffamation menée contre lui par le Conseil d’État (CE). M. Ellieh fait l’objet d’une information judiciaire depuis qu’il a critiqué la décision du CE d’annuler un contrat d’attribution de l’exploitation des boutiques de la zone franche de l’aéroport, parce qu’une seule offre avait été présentée à la suite de l’appel d’offres lancé le 12 mai dernier.

Avant de comparaître devant M. Khoury, le directeur des adjudications, un homme qui n’arrête pas de s’opposer à des marchés louches et de les dénoncer, notamment dans le domaine de l’électricité, a déclaré que "bon nombre de données importantes allaient être dévoilées devant le tribunal" et annoncé qu’il allait à son tour demander l’ouverture d’une information judiciaire au sujet de l’appel d’offres relatif à l’exploitation des boutiques de la zone franche de l’aéroport.

M. Ellieh a été entendu par le procureur à titre "informatif". D’après lui, "l’objet de cette information judiciaire est de dissimuler un scandale où de nombreux juges seraient impliqués", affaire qu’il a promis de révéler, avec preuves à l’appui. "Le droit de commenter les décisions de justice est sacré", a aussi affirmé Jean Ellieh avant de se présenter devant le juge Ghassan Khoury au Palais de justice de Beyrouth où au moins trois députés de l’opposition, Paula Yaacoubian, Marc Daou et Waddah Sadek étaient présents pour lui exprimer leur soutien, aux côtés de son frère. Ils ont exprimé leur refus de voir le pouvoir judiciaire servir de moyen d’intimidation. Ils ont également insisté sur l’importance de garantir les libertés d’expression et de respecter les services publics.

Ce que Jean Ellieh a contesté dans le cadre de cette affaire, c’est le fait que le Conseil d’État ait prétexté "un appel d’offres irrégulier" pour justifier l’annulation de l’appel d’offres. Des accusations contre lesquelles il s’était défendu en expliquant, entre autres, que c’est la situation dans le pays qui justifierait qu’une seule offre ait été faite. Il est aussi monté au créneau au sujet des "manœuvres des dirigeants politiques au lendemain du lancement d’un appel d’offres, le 12 mai dernier, pour la gestion et l’exploitation des boutiques de la zone franche de l’aéroport de Beyrouth".

Le 26 mai, le Conseil d’État avait décidé l’annulation du contrat avec la société Phoenicia Aer Rianta Company (PAC), qui gère la zone franche de l’aéroport depuis 2002. Depuis 2006, le contrat est renouvelé, d’abord pour quatre ans, avant d’être reconduit chaque année à partir de 2010 et que PAC ne remporte un appel d’offres en 2017. Le contrat a été considéré par le Conseil d’État comme "nul et non avenu", alors qu’il avait été approuvé précédemment par cette même instance, à l’époque où elle était présidée par le juge Chucri Sader.

Selon les explications de l’Inspection centrale, le fait qu’une seule offre ait été déposée empêche la Direction des adjudications (DDA) de procéder à l’ouverture des plis. D’après M. Ellieh, "seule une seule offre aurait été avancée en raison de la situation actuelle qui plonge le Liban dans une incertitude économique et financière sans pareil".

L’affaire devait donc être renvoyée au ministre sortant des Travaux publics et des Transports, Ali Hamiyé. Ayant critiqué cette décision, M. Ellieh estime que le CE a agi dans une parfaite illégalité en annulant le marché de 2017 juste après le lancement de l’appel d’offres pour 2022.

Il ne s’agit pas de la première fois qu’un appel d’offres fait l’objet d’une action en justice. En mars 2021, Jean Ellieh avait porté deux plaintes en diffamation contre deux députés du Courant patriotique libre: César Abi Khalil et Georges Atallah. Ces deux derniers n’ont pas cessé, pendant près d’un an de contourner la procédure visant à les notifier des plaintes. Il s’agit alors d’une affaire qui remonte à 2013, lorsque pour "résoudre" temporairement les problèmes de production d’électricité au Liban, le ministre de l’Énergie et de l’Eau, César Abi Khalil, avait eu recours à la location de navires-centrales, en privilégiant la société turque Karpowership.

Au lendemain d’un appel d’offres lancé pour louer deux centrales flottantes, la filiale de l’opérateur turc Karadeniz remporte le contrat. En 2017, alors qu’il est question de renouveler le partenariat, des documents fuitent, révélant l’intention du ministère de conclure un accord de gré à gré avec Karpowership et de court-circuiter ainsi la procédure de l’appel d’offres officiellement prévue. Mais dans une tentative de camoufler l’affaire, la Direction des adjudications s’était vu confier le dossier.