Le débat mardi, place de l’Étoile, sur le prêt de la Banque mondiale pour l’approvisionnement du Liban en blé a mis en relief plusieurs aspects inhérents à la crise du pain, notamment la contrebande due en grande partie à la subvention de la farine, mais aussi le manque de transparence dans la gestion de ce dossier.

Si le vote de la loi régissant la levée du secret bancaire lors de la séance parlementaire de mardi a retenu une grande partie de l’attention des Libanais, un autre texte relatif à une denrée vitale, à savoir le pain, a également été adopté.

La Chambre a ainsi approuvé un accord de prêt de la Banque mondiale d’une valeur de 150 millions de dollars pour l’approvisionnement du Liban en blé pour six à neuf mois. Après une longue discussion, elle a cependant renvoyé à la commission des Finances et du Budget le projet de loi fixant les modalités du prêt, que le ministère de l’Économie avait joint à l’accord.

La Banque mondiale avait accordé ce prêt au Liban, le 6 mai dernier, après l’arrêt des exportations de céréales d’Ukraine et de Russie. Le Conseil des ministres l’avait approuvé le 12 mai, juste avant sa démission au lendemain des législatives du 15 mai.

Le débat suscité par le prêt en question a mis en relief plusieurs aspects inhérents à la crise du pain que vivent les Libanais, notamment la contrebande due en grande partie à la subvention par l’État de la farine, mais également le manque de transparence dans la gestion de ce dossier, qui entraîne des accusations de corruption.

Il convient de rappeler que le mécanisme de subvention actuel permet au secteur d’importer le blé par un financement en devises au taux officiel (1.507,5 livres pour un dollar) fourni par la Banque du Liban. La levée de la subvention a été évoquée plusieurs fois mardi et pourrait être proche.

Accusations de corruption

Durant la séance de mardi, le député Waël Bou Faour (Parti socialiste progressiste) a clairement dit: "On nous demande de choisir entre voter contre ce texte, privant ainsi le citoyen de pain, et voter en faveur du texte, ce qui équivaudrait à autoriser le vol d’une grande somme d’argent."

M. Bou Faour a poursuivi sur sa lancée, en demandant au ministre sortant de l’Économie Amine Salam, qui s’efforçait de défendre sa gestion du dossier du blé: "Qui est Ibrahim Mardam Bey? Touche-t-il des commissions?". M. Salam a répondu qu’il y a effectivement une personne qui porte ce nom et qui est concernée par la gestion du dossier, démentant cependant l’accusation relative aux commissions.

Des sources bien informées croient savoir que les accusations contre M. Mardam Bey concernent précisément son rôle d’intermédiaire dans l’obtention du prêt de la Banque mondiale.

Ce n’est pas la première fois que M. Bou Faour fait état de corruption dans l’affaire de la pénurie de farine. Il avait déjà appelé, il y a un mois, le ministre Salam à enquêter sur son ministère, plus précisément sur "la direction générale des céréales, afin de mettre fin à l’opération de corruption, de vol et de monopole qui prive le citoyen libanais de pain". Dans une conférence de presse au Parlement, il avait dénoncé les quatre piliers d’un système qui provoque la crise de la farine au Liban: les fonctionnaires "corrompus" à la direction des céréales, certains commerçants, certaines boulangeries et enfin certaines minoteries.

Par la suite, M. Bou Faour a remis au procureur financier Ali Ibrahim une note d’information judiciaire basée sur le rapport établi par les services de renseignements au sein des Forces de sécurité intérieure, détaillant les noms de toutes les personnes impliquées dans l’opération de corruption. Parmi ces noms, figureraient des fonctionnaires du ministère de l’Économie.

La justice s’est-elle mobilisée depuis, pour interroger les personnes citées dans le rapport? Selon des sources informées, une seule personne aurait été arrêtée puis libérée suite à des interventions politiques. Il s’agirait d’un propriétaire de minoterie au Liban-Sud. Le dossier préparé par les FSI comportait des informations précises. Pourquoi l’enquête n’a-t-elle pas abouti? C’est une question légitime que se posent certains observateurs, qui estiment que les corrompus bénéficient d’une protection politique.

Lever la subvention

La contrebande de la farine subventionnée vers la Syrie a été évoquée par plusieurs parlementaires mardi, notamment Ziad Hawat (Forces libanaises) et Akram Chéhayeb (PSP). Le Premier ministre sortant Nagib Mikati a saisi l’occasion pour dénoncer la contrebande de différents produits depuis cinq ans, ajoutant que "la solution réside dans la levée de la subvention sur le blé".

Alors que certains députés, comme Kassem Hachem, ont appuyé cette demande, et que le député Gebran Bassil a suggéré une recommandation du Parlement en faveur de la levée de la subvention, le chef du Législatif Nabih Berry s’est empressé de souligner qu’une telle demande ne relève pas de la responsabilité de la Chambre, mais du gouvernement.

Les députés, notamment Nadim Gemayel (Kataëb) et Achraf Rifi (bloc le Renouveau) ont également proposé que l’aide soit plutôt remise directement aux citoyens, soulignant que la subvention actuelle bénéficie surtout aux importateurs et commerçants.

Waël Bou Faour, lui, prône le remplacement de la subvention de la farine par des cartes alimentaires distribuées aux familles les plus démunies. Il note aussi que le Liban produit 200.000 tonnes de blé par an, précisant cependant que ce blé est "dur" et que les graines devraient être remplacées par des graines produisant du blé plus "souple", ce qui permettra au Liban de produire le tiers de ses besoins. Il dénonce dans ce cadre l’absence de toute initiative de l’État pour produire du blé et soutenir la "souveraineté alimentaire" du Liban.

L’appui à l’agriculteur libanais pour qu’il plante du blé a également été réclamé par le député Élias Jradi (contestation).

Le ministre Salam

Durant la séance, le président de la commission des Finances et du Budget Ibrahim Kanaan a posé au ministre Salam les questions que les députés avaient soulevées, relatives notamment aux prérogatives que le texte accordait à la direction générale des graines au ministère de l’Économie pour ouvrir des crédits, et distribuer la farine.

M. Salam a indiqué avoir hérité du précédent gouvernement les politiques de subvention qui ont dépensé des millions, ajoutant que le prêt obtenu par le Liban est en fait bonifié, et avait été demandé par plusieurs autres pays. En vertu de ce prêt, la subvention serait de 8.000 livres pour un dollar au lieu de 1.500, ce qui élèverait le prix du paquet de pain de 15.000 livres à 27.000 livres.

Le député Georges Okaïs (FL) a alors demandé à M. Salam quel serait le prix du paquet de pain si la subvention est totalement levée. Le ministre a répondu: 30.000 ou 35.000 livres.

Dans un point de presse en marge de la séance, le ministre Salam a annoncé que le Liban va recevoir 50.000 tonnes de blé au cours des deux prochaines semaines, et que la situation devrait bientôt s’améliorer. Il a expliqué qu’un mécanisme a été mis en place pour contrôler la distribution et l’utilisation du blé.

En attendant, les files continuent de s’allonger devant les boulangeries, comme les queues interminables que les citoyens libanais ont dû subir avant la levée des subventions sur certains produits alimentaires ou sur l’essence.