Le Liban, mon petit pays, joue ses dernières cartes, et Lokman – mon frère et fondateur de Dar al Jadeed, que le Prix Voltaire honore ce soir – a été assassiné il y a 10 mois. Lokman et le Liban croyaient tous deux à la force des mots, dans la force et la justesse des combats de Voltaire.
Voltaire était, est un homme juste. Lokman était, est un homme juste. Les deux hommes de justice sont ici ce soir, réunis à Guadalajara, dans un salon du livre que Lokman et Voltaire auraient adoré visiter, afin de voir leurs livres et leurs mots résonner.
Cette rime entre les mots Lokman et le Liban nous dit quelque chose.
Ils ont tous les deux étés trahis et leur meurtre n’est pas un crime ordinaire. Ce soir, Lokman et le Liban prennent un verre avec Voltaire. Les trois nous regardent et sourient. " Il est clair que l’individu qui persécute un homme, son frère (ou un pays), parce qu’il n’est pas du même avis, ou qu’il ne partage pas les mêmes valeurs, est un monstre ", nous dit Voltaire.
Lokman, le Liban et Voltaire sont ce soir avec nous. Ils écoutent chaque mot que nous disons et savent que la mort barbare d’un pays et d’un frère représente une tragédie colossale. L’International Publishers Association honore ce soir un Liban souffrant et un Lokman assassiné. Le tueur des deux est la même entité. La même entité qui a assassiné ceux qui n’acceptent pas d’être réduits au silence, ceux qui n’ont pas peur.
La devise de Lokman était " Zero Fear " et cette devise est contagieuse. Ce que Lokman avait l’habitude de dire est maintenant sur toutes les lèvres. Lokman avait entrevu ce que le totalitarisme allait générer. Il était un bâtisseur, un leader, un esthète. Son courage et sa clarté rayonnent, éclairant notre chute dans l’abîme.
En honorant Lokman et le Liban, l’International Publishers Association adresse un message clair aux personnes qui ont été touchées par ces deux tragédies poignantes et qui pensent que le monde libre a perdu sa boussole éthique. Le Prix Voltaire dit aux deux victimes : vous n’êtes pas seuls. Le Prix Voltaire et ce qu’il représente scrutent et écoutent, et ne se laissera pas intimider par les monstres : Lokman ne sera pas oublié, ses projets doivent continuer et le Liban qui partage ses valeurs de responsabilité, de transparence et de justice doit exister.
La liberté que défend le Prix Voltaire doit plus que jamais se conjuguer avec la justice, car la " liberté " a été déformée au Liban, utilisée pour inciter les monstres à tuer et à voler, et inciter la justice à défendre les tueurs.
Être ici, ce soir, à Guadalajara, pour recevoir le prestigieux prix Voltaire entouré des honorables membres de l’IPA, aurait grandement plu à Lokman. Voltaire et Lokman ne sourient pas seulement, ils rient maintenant… Les mots peuvent faire des miracles. Bravo à Lokman et Voltaire. Les miracles humains et la volonté sont tout ce dont nous avons besoin.

Allocution prononcée par Rasha el-Ameer lors de la cérémonie de remise du prix Voltaire à Guadalajara, le 30 octobre 2021.