La deuxième commémoration du 4 août a fait naître chez les proches des victimes l’espoir d’une dynamique internationale en faveur de leur demande de créer une mission d’établissement des faits, qui doit faire l’objet d’une pétition électronique en ligne dès jeudi.

A la demande des proches des victimes de la double explosion du 4 août d’ouvrir une enquête internationale, des diplomates opposent l’argument selon lequel l’accord préalable du Liban est impératif. Ce dernier refuse jusqu’à nouvel ordre d’avaliser une telle démarche, malgré le blocage avéré de l’enquête nationale.

Bien que défendu par certains juristes, l’argument d’un nécessaire aval du Liban ne fait pas l’unanimité. Il existe en effet plusieurs mécanismes d’initiation d’une enquête internationale.

Le mécanisme auquel font appel les familles des victimes n’implique pas la saisine d’une juridiction internationale, ni la création d’un tribunal chargé de juger les responsables de la double explosion, qui requiert en principe un accord avec l’État concerné.

La démarche préconisée fait plutôt partie des démarches qui peuvent être initiées par une résolution du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU. Devant cet organe intergouvernemental, le consentement de l’État n’est pas en principe exigé, et peut en tout cas être contourné, comme l’explique à Ici Beyrouth Aya Majzoub, chercheuse sur le Liban au sein de Human Rights Watch, l’une des principales ONG relayant l’appel à internationaliser l’enquête.

Formé de 47 États membres, le Conseil des droits de l’homme est chargé d’observer et de dénoncer les violations de ces droits dans chaque pays. La création d’une commission d’enquête, déclinable sur plusieurs formes, est une prérogative importante dont il dispose à cette fin. Cette commission est créée par le vote d’une résolution à la majorité relative de ses membres. La rédaction de la résolution est confiée à un groupe d’États et varie en fonction des cas en question.

"Même si c’est l’État concerné qui décide du niveau d’accès à donner à l’équipe onusienne, son consentement n’est pas une condition à la mise sur pied de cette équipe (…) en tout cas pas pour le type de résolution pour laquelle nous œuvrons", explique la chercheuse.

Une mission parallèle à l’enquête nationale

C’est en vertu d’une résolution du Conseil des droits de l’homme que la forme de l’organisme chargé de l’enquête est décidée. C’est une mission d’établissement des faits que réclament les proches des victimes du 4 août. Une telle mission, si elle est mise sur pied, opèrerait "parallèlement à l’enquête nationale: ni elle ne la remplace, ni ne tient lieu de juridiction d’instruction criminelle chargée de désigner des accusés pour les juger", explique Aya Majzoub. "Son objectif serait d’établir les faits et de définir la responsabilité de l’État libanais dans la violation des droits de ses citoyens", précise-t-elle. Ses conclusions n’ont pas d’effet juridique direct, mais ont une valeur morale non négligeable, nécessaire pour une éventuelle pression internationale en faveur d’un aboutissement de l’enquête.

C’est en outre en vertu de la résolution du CDH que se décide la marge de manœuvre de la mission, à savoir dans quelle mesure elle peut par exemple être informée des avancées de l’enquête nationale par les canaux officiels. Mais là encore, la chercheuse explique que "l’équipe désignée par le Conseil des droits de l’homme est généralement dotée de l’expertise requise pour recueillir des informations en dépit des embûches". Elle rappelle que des enquêteurs délégués par le CDH ont eu à examiner des crimes perpétrés dans le cadre de la guerre israélo-palestinienne, sans avoir l’autorisation d’être présents en Israël.

Il reste que les grandes puissances "ont une capacité d’influence sur le Liban suffisante pour l’amener à faciliter le travail de la mission", dit-elle, en rappelant que le pays du Cèdre compte sur les aides financières internationales dans plus d’un domaine.

Dans l’attente d’un feu vert français

Dans ce contexte, la France est spécifiquement critiquée par HRW et des proches des victimes pour "entraver" la mise sur pied d’une enquête internationale. En effet, même si seule la majorité relative est requise au sein du Conseil des droits de l’homme, "aucun État ne s’aventurera dans un vote relatif au Liban sans passer par la France, le Liban étant considéré comme relevant directement de ses intérêts". Or, aucun feu vert français n’est donné jusqu’à nouvel ordre pour une enquête internationale, en dépit de l’enthousiasme exprimé par d’autres grandes puissances, selon elle.

Au vu du blocage de l’enquête nationale par des manœuvres dilatoires et d’intimidation menées par le pouvoir, l’argument du président français Emmanuel Macron, selon qui l’enquête nationale est "un choix souverain" ne convainc plus ceux qui réclament un appui international pour briser l’impunité.

L’espoir des familles des victimes

Mais la deuxième commémoration du 4 août a fait naître chez les proches des victimes l’espoir d’une dynamique internationale en faveur de leur requête. À l’invitation de la coordinatrice spéciale des Nations unies au Liban, Joanna Wronecka, des ambassadeurs et chargés de missions diplomatiques en poste au Liban, dont l’ambassadrice de France, s’étaient rendus le matin du 4 août 2022 dans le secteur du port où ils ont observé une minute de silence, en présence des membres des familles des victimes.
William Noun, dont le frère Joe a été tué dans la double explosion, confie à Ici Beyrouth avoir "perçu un changement" au niveau des diplomates, "une disposition à mener une action" en faveur de l’enquête, " sauf chez la Russie et la Chine ". Encore faut-il toutefois qu’une dynamique nationale prenne forme, à titre moral, en soutien à une mission d’enquête internationale, à défaut de l’aval de l’État libanais, explique William Noun : c’est la requête qu’auraient fait les diplomates aux familles.

C’est à cette fin qu’une pétition électronique sera mise en ligne jeudi en faveur d’une mission d’enquête, à l’initiative des proches des sapeurs-pompiers tués dans l’explosion. Ils tiendront une conférence de presse à 13 heures pour en annoncer l’enjeu. Les proches misent sur les Libanais expatriés pour faire pression dans ce sens sur les décideurs internationaux, confie William Noun. Les familles des victimes ont également prévu de présenter jeudi matin une note d’information judiciaire relative à l’enquête.