Ce n’est pas la première fois que le président Michel Aoun, dont le mandat touche à sa fin, s’adresse au corps de la magistrature. Une magistrature qui n’a toujours pas réussi à accéder au stade d’autorité indépendante, pour deux raisons. La première est liée à la politique et la seconde lui est inhérente.

La Constitution libanaise est pourtant claire en termes de séparation des pouvoirs et explique précisément les modalités de la coopération et de l’équilibre entre eux. Les autorités législative, exécutive et judiciaire ont chacune des prérogatives bien déterminées. Et la logique constitutionnelle veut qu’elles soient indépendantes les unes des autres et que leurs rôles ne s’enchevêtrent pas. Dans le cas contraire, elles perdraient cette indépendance. Évidemment, le Liban est loin d’adhérer à cette logique.

Le président de la République s’est déjà adressé aux juges et continue de le faire aujourd’hui, donnant l’impression qu’il veille sur leur indépendance et respecte les spécificités de la magistrature, voire qu’il la protège contre les ingérences des partis politiques. Mais, la vérité est autre. Le président, censé donner l’exemple et en être un, s’était abstenu de signer le décret de nominations judiciaires il y a quelques années, seulement parce que les propositions du Conseil supérieur de la magistrature (qui est pourtant la seule instance habilitée à effectuer les nominations et les permutations judiciaires) ne correspondaient pas à ses aspirations.

Le président de la République, qui a prêté serment devant le Parlement et l’opinion publique libanaise, arabe et internationale, promettant de veiller au respect de la Constitution et à l’application de ses clauses, n’hésite pas à paralyser l’autorité la plus importante, censée bénéficier du plus haut degré d’indépendance afin de mener à bien ses missions.

Rien n’est plus dangereux que de transformer le système judiciaire en îlots politiques bénéficiant de la protection de tel ou de tel autre dirigeant ou parti. Rien n’est plus grave que de voir les juges recourir à des méthodes folkloriques, portant atteinte à leur sobriété et se transformer en simples exécutants des politiques et des caprices des hommes et des partis politiques, ce qui est en contradiction avec leur tâche principale, à savoir veiller à l’application des lois.

Le pouvoir judiciaire ne peut – et ne devrait pas – être régi sur base de considérations vindicatives et ne doit pas être considéré comme un instrument servant à se venger de telle ou telle autre partie politique. Il s’agit là d’un jeu dangereux qui transforme la magistrature en un outil malléable entre les mains des politiciens qui cherchent à atteindre des objectifs qui leur sont propres.

S’il existe un problème au niveau de la façon avec laquelle le pouvoir politique agit avec la magistrature dont il pourrait mépriser le rôle, la mission et les objectifs, les juges ont eux aussi une responsabilité à assumer à ce niveau puisqu’il leur appartient, à eux seuls, de devenir imperméables aux tentatives de les assujettir et de les transformer en outils utilisés par certains hommes politiques afin de réaliser des desseins qui n’ont rien à voir avec l’action judiciaire.

La Constitution française stipule que les juges ne peuvent être démis de leurs fonctions, ce qui confère à ces derniers une immunité imperméable aux caprices et aux intérêts des forces qui composent le pouvoir. Au Liban par contre, les nominations, les permutations et les promotions judiciaires sont du ressort du pouvoir exécutif, ce qui donne à cette autorité le pouvoir de contrôler le sort des juges. L’article 64 de la Constitution française stipule que le président de la République se doit d’être le premier garant de la justice. Il présente le pouvoir judiciaire comme " le gardien de la liberté individuelle ". Au Liban par contre, la tragédie politique et judiciaire endurée par le peuple libanais n’est que trop connue.

"L’Esprit des lois", l’ouvrage rédigé par Montesquieu et publié en 1748, bien avant la Révolution française, a constitué un tournant important dans la compréhension et la consécration du principe de séparation des pouvoirs. Reste à savoir si des dirigeants libanais l’ont lu ou si du moins ils en ont entendu parler.