Le 4 septembre, des vidéos largement partagées sur les réseaux sociaux montrent des centaines de pins, parfois centenaires, abattus à Mayfouk, dans le caza de Jbeil. Un véritable "crime écologique" selon plusieurs députés, qui tentent de faire en sorte que les responsables soient sanctionnés et d’empêcher qu’une telle catastrophe ne se reproduise.

C’est un véritable désastre écologique qui pour l’instant ne semble pas émouvoir les autorités. Le dimanche 4 septembre, plusieurs vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux montrant un nombre incalculable de pins récemment abattus à Mayfouk, dans le caza de Jbeil. "Des milliers", selon les auteurs des images.

Rapidement, Najat Saliba, députée issue du mouvement de contestation et experte en environnement, relaie les vidéos et se rend sur place. "Je n’en croyais pas mes yeux, c’était désastreux, confie-t-elle à Ici Beyrouth. Des centaines d’arbres ont été coupés. Certains étaient centenaires. De plus, les auteurs de ce crime ont laissé les branches sur place, ce qui accroît fortement les risques d’incendies."

Selon Mme Saliba, le conseil municipal tente depuis quelque temps d’empêcher ces abattages sauvages. Sans succès. "Les gens ont besoin de bois pour se chauffer cet hiver, mais nous devons nous servir des technologies disponibles pour trouver des alternatives, constate-t-elle. La solution n’est jamais de couper autant d’arbres."

Moyen de chauffage moins cher

De fait, selon une étude de la société de consultation Information International (al-Douwaliya lil Maaloumat), le bois semble être le moyen de chauffage le moins cher. Selon ce travail publié lundi, chaque ménage a besoin cet hiver de 100 bidons de 20 litres de mazout pour se réchauffer, soit l’équivalent d’au moins 70 millions de livres, pour un bidon de 20 litres à 700.000 livres. L’hiver dernier, les 20 litres de mazout coûtaient 100.000 livres.

Toujours selon cette étude d’Information International, se réchauffer avec des chaufferettes à gaz n’est pas très efficace, notamment pour les maisons situées en altitude, "sachant que le prix de la bonbonne de gaz, qui a atteint les 350.000 livres, est tributaire des fluctuations du taux du change du dollar sur le marché libre". En ce qui concerne le chauffage électrique, "il est extrêmement cher, si l’on compte que le kilowatt/heure pour les générateurs coûte en moyenne 15.000 livres".

Selon le travail d’Information International, se chauffer au bois reste le moyen le moins cher. "Chaque ménage a besoin de près de six tonnes de bois, souligne le texte. Le prix de la tonne est de 6 millions de livres, soit 36 millions de livres pour la saison froide." La société d’études et de consultations souligne que de nombreux ménages vont opter pour le bois, puisqu’il est nettement moins cher que le mazout, même s’ils devraient investir dans un poêle à bois. Et de mettre en garde contre "les répercussions environnementales de cette option, puisque l’abattage des arbres va augmenter, ainsi que les incendies provoqués".

Absence de décisions

Aussi, ce crime environnemental a-t-il été au centre de la réunion qu’a tenue lundi la commission parlementaire de l’Environnement. Najat Saliba déplore dans ce cadre une absence totale de prise de décisions. "Je discute actuellement avec un groupe d’avocats spécialisés dans l’environnement, pour déterminer les actions légales que nous pourrons  entreprendre pour s’assurer que de tels actes ne se reproduisent plus."

La première étape consistera à constituer un dossier auprès du procureur général pour l’ouverture d’une enquête. "Il faut déterminer qui est responsable d’un tel désastre", explique à Ici Beyrouth Chucri Haddad, avocat spécialisé en environnement et en droit pénal. "Nous ignorons si des autorisations pour l’abattage des pins sont effectives à Mayfouk, poursuit-il. Même si elle existent, il y a clairement eu des abus."

Des lettres vont également être adressées aux ministères de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Intérieur. "Nous voulons de véritables régulations, nationales et locales, pour éviter de telles coupes, insiste Chucri Haddad. Elles sont nécessaires maintenant. La saison froide approche et les gens vont vouloir commencer à se chauffer."

Des ministères enchevêtrés

Qui est responsable de ces abattages à grande échelle? "C’est principalement le ministère de l’Agriculture qui, à travers ses bureaux présents dans chaque caza, donne des permissions pour l’élagage des plants", répond à Ici Beyrouth Ghayath Yazbeck, député Forces libanaises de Batroun et président de la commission parlementaire de l’Environnement. "Le problème reste dans le fait que l’administration est complètement enchevêtrée et que les ministères de l’Agriculture, de l’Environnement et de l’Intérieur se renvoient la balle."

Il est vrai que parmi eux, seul le ministère de l’Intérieur possède un pouvoir exécutif et peut prendre de réelles mesures coercitives. Encore faut-il avoir la volonté et les moyens de le faire. "Notre État est hors-service, se désole Ghayath Yazbeck. Nous n’avons pas de gardes forestiers. La police n’a même pas assez de carburant pour faire des rondes en forêt. Et les juges sont en grève…".

Un gouvernement démissionnaire et inutile

Quel rôle peuvent jouer les députés dans cette affaire? "Nous nous sentons démunis, regrette Ghayath Yazbeck. Notre mission, c’est avant tout de légiférer. Mais pour l’instant nous avons vraiment l’impression de remplacer l’Exécutif. Au cours de la réunion de ce matin, nous avons exhorté les ministres à prendre des mesures draconiennes pour punir les auteurs des abattages. On nous a répondu que le nécessaire serait fait. Mais nous ne sommes sûrs de rien. On ne peut rien faire avec un gouvernement démissionnaire."

Qualifiant, tout comme Najat Saliba, de "crime" l’abattage des pins à Mayfouk, Ghayath Yazbeck fait remarquer que de tels actes sont commis presque quotidiennement au Liban. "Plus la crise économique empire, plus cela devient catastrophique, observe-t-il. Les gens cherchent à se chauffer et les combustibles fossiles deviennent trop chers. Même une partie des ménages aisés est désormais affectée."

Lorsque les dirigeants seront touchés, ils pourront peut-être se décider à agir. Malheureusement, il sera certainement déjà trop tard.