L’élection d’un nouveau président ne mettra pas fin de sitôt à la crise libanaise due, essentiellement, au rapt de la volonté souveraine de l’État qui n’a aucune raison de prendre fin. Au milieu de la crise mondiale actuelle et des menaces nucléaires qui se précisent de plus en plus, il serait difficile d’imaginer la mise en place d’une tutelle internationale permettant de remettre sur pied le malade libanais au bord de l’agonie. L’élection présidentielle ne semble pas en mesure de changer la donne à moins d’entreprendre un long travail de convalescence.

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Le monde suspend son souffle suite aux retombées du conflit en Ukraine. On craint la disette par manque de céréales. On grelotte anticipativement à la perspective de manquer de chauffage cet hiver. L’Europe occidentale se débat avec son Euro par terre alors que le prix de la production d’énergie s’envole. Elle observe, médusée, la montée aux extrêmes, en son sein, des populismes postfascistes. La communauté internationale est épouvantée à la seule idée que la Russie de Poutine mettrait ses menaces nucléaires à exécution. Face à tout cela, la campagne présidentielle libanaise apparaît comme un divertissement de luxe, à peine amusant, pour gamins malappris se disputant dans une arrière-cour d’école primaire. L’opinion publique libanaise n’en finit pas de soupeser les chances de l’un ou l’autre membre du petit club de coqs de combat maronites, tous candidats présidentiables, certains étant même déclarés à leur propre insu.

Le spectacle est d’autant plus amusant qu’inutile. Toute cette agitation ne mènera probablement pas à l’élection d’un président pouvant s’installer, avant le 31 octobre prochain, dans le fauteuil tant convoité du Palais de Baabda. À supposer que, par miracle, les députés parviennent à élire un chef d’État, on se surprend à poser la question naïve : " quel est cet État que cet homme, ou cette femme, va pouvoir diriger ? ". À quoi sert donc un président d’une république prise en étau par le Hezbollah pour le compte de l’Iran ? On vit les derniers jours d’un mandat qui a pu bénéficier, grâce à la bonne volonté de l’occupant, d’une étroite marge de manœuvre lui permettant, tout juste, de régler leurs comptes à ses rivaux tant détestés, chrétiens et sunnites. Rien ne changera tant que l’État ne recouvre pas sa souveraineté ainsi que le monopole de ses pouvoirs régaliens. Le plus parfait des présidentiables ne pourra rien faire tant que l’hypothèque iranienne du Hezbollah pèsera lourdement sur ses épaules.

Soixante-trois bulletins blancs de vote lors de la première séance électorale. Chiffre ô combien significatif. Il suffit que cette belle et blanche unanimité puisse s’adjoindre deux bulletins supplémentaires et le tour sera joué. À la majorité absolue de 65 voix, un nouveau président sera donc élu en un tour de main. Qui ? Le marchandage est en cours. On a vu comment, pour s’installer dans le fameux fauteuil de Baabda, certains sont prêts à tout sacrifier : veaux, vaches, cochons, couvées, pâturages et patrie. Cependant, nombreux demeurent les présidentiables dont le parcours est indemne de toute compromission sordide.

Un choix multiséculaire
Mais tout dépend de l’Iran tant le Hezbollah a sapé les fondements du Liban. Une bonne partie de l’opinion publique chrétienne a accepté de se renier elle-même pour complaire à la volonté iranienne, contre l’illusion vaine de satisfaire la volonté de puissance. Les maronites ont, depuis le V°-VI° siècles, toujours fait le choix de regarder vers l’Ouest, vers le monde méditerranéen. Après le Concile de Chalcédoine (451 EC), ils furent les seuls " syriaques " à partager la foi de l’Empereur romain, à l’instar de tous les " melkites ". Ils ont renouvelé leur choix " occidental " en acceptant, au VII° siècle, le compromis monothélite de l’empereur Héraclius, initié par le patriarche Serge de Constantinople (610-638 EC) et accepté par le pape Honorius Ier de Rome (ƚ 638 EC). Cette formule, que condamnera le Concile de Constantinople III (681 EC), fut élaborée afin de refaire l’unité de l’Orient romain face aux Perses Sassanides. Malgré leur maintien du monothélisme, les maronites renoueront avec la Rome latine au Moyen-Âge, fidèles en cela à leur positionnement méditerranéen de toujours. Cette constance remarquable ne sera rompue que par le funeste accord de Mar-Mikhaïl, conclu en 2006 par Hassan Nasrallah et Michel Aoun. Par cette alliance, la communauté maronite du Liban s’est trouvée écartelée entre deux axes géostratégiques opposés : Téhéran-Moscou-Damas d’un côté et Euro-Arabe de l’autre. Cette fracture intra-chrétienne n’est pas près de cicatriser. Il faudra des décennies pour évacuer les effets dévastateurs du " aounisme ", mouvement appartenant à la catégorie du " post-fascisme " ou " national-populisme " qui déferle actuellement sur le monde entier.

Une tutelle internationale ou une ACIT ?
Un nouveau président est-il en mesure de raccommoder le pays déchiqueté et refaire l’unité politique ? Il est permis d’en douter, non parce que nul homme ne s’avère à la hauteur d’une telle tâche mais parce que les règles du jeu sont pourries. Les dés sont pipés. La caste dirigeante, à savoir le couple " milice-mafia ", détient tous les leviers de commande. On pourrait imaginer l’élection d’un archange descendu du ciel au poste de chef du non-État libanais. Il est légitime d’affirmer qu’il pourrait bien se métamorphoser en ange déchu du royaume des enfers. En d’autres termes, c’est tout le système qui a besoin d’un coup de balai. Tous les rouages du pays sont entre les mains de la même bande depuis des lustres. Le pays a besoin d’une phase transitoire de convalescence durant laquelle les misérables guerres pour des parcelles infimes de pouvoir doivent cesser. Tant que l’actuelle association de malfaiteurs tient le pays, tout espoir semble vain.

Que faire ? Comment organiser la convalescence ? On peut imaginer un coup de force militaire ou une révolution sanglante. Nul ne semble disposé à tenter de telles aventures. Une neutralisation du Liban serait la bienvenue mais comment y parvenir ? Amin Maalouf avait évoqué, dans un entretien accordé au Point (14/08/2022), le besoin de mettre le Liban sous tutelle internationale.
La proposition est séduisante. Cependant, fait observer le juriste Sagi Sinno, " la tutelle internationale, au sens du Chapitre XIII de la Charte de l’ONU, ne semble pas applicable aujourd’hui pour le Liban. D’ailleurs, plus aucun pays, État ou territoire ne sont actuellement placés sous tutelle internationale, et ce depuis l’accession des Palaos à l’indépendance en 1994. Le Conseil de tutelle, lui-même, avait suspendu ses activités au mois de novembre de la même année ". Dans le cas du Liban, on pourrait envisager une administration civile internationale transitoire (ACIT), à l’image de celles mises en place au Kosovo et au Timor oriental. Mais, ajoute Sinno, " il faudrait, pour cela, passer par une résolution du Conseil de Sécurité sur la base du Chapitre VII de la Charte de l’ONU ". On le voit, tout ce mécanisme juridique demeure tributaire de la volonté politique de la communauté internationale, notamment celle des cinq grandes puissances qui détiennent un droit de veto au Conseil de Sécurité. On voit mal, dans ces conditions, la Fédération de Russie et la République Populaire de Chine accepter sans sourciller l’instauration d’une ACIT au Liban, qui irait à l’encontre des intérêts de leur allié : l’Iran des Mollahs.

Et pourtant, une phase transitoire demeure indispensable. Phase de convalescence qui serait mise à profit pour nettoyer les écuries d’Augias, casser l’hégémonie de la bande milice-mafia, briser l’État mafieux comme cela fut fait en Italie grâce à la témérité de juges intègres comme Giovanni Falcone. C’est pourquoi la seule vertu qu’on exige d’un nouveau chef de l’État c’est de faire le ménage au sein de la magistrature en rendant aux juges leur liberté vis-à-vis des forces politiques et leur dignité comme boucliers de la règle du droit. Ceci se réalise par le respect rigoureux de la Constitution et non par les exercices d’herméneutique politicienne de son texte.

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