À deux jours de la séance consacrée à l’élection d’un président de la République, les groupes parlementaires campent chacun sur leurs positions: les souverainistes voteront en faveur de Michel Moawad, le bloc du 8 Mars déposera des bulletins blancs, les indépendants voteront "Liban" et le groupe du Changement fera son choix mardi.

Un quorum mais pas de président. C’est ce à quoi il faut s’attendre en principe jeudi 13 octobre prochain durant la séance parlementaire consacrée à l’élection d’un nouveau chef de l’État. À moins d’un changement de dernière minute, qui n’est jamais exclu dans la vie politique libanaise.

En quoi cette seconde séance électorale sera-t-elle différente de la première, qui s’était tenue le 29 septembre dernier, et qui avait été levée à l’issue du premier tour pour défaut de quorum? La différence majeure consiste dans le fait que les positions des principaux groupes parlementaires sont pratiquement connues puisqu’elles ont déjà été exprimées lors de la première séance, réduisant de ce fait le "suspense" et l’élément d’expectative. Ainsi, les principaux blocs comptent rester sur les postures exprimées le 29 septembre.

L’opposition souverainiste persiste: Moawad

Les groupes de "l’opposition souverainiste", qui avaient voté en faveur du député Michel Moawad, maintiennent leur appui à leur candidat. C’est ce qu’ont assuré à Ici Beyrouth des sources proches des Forces libanaises, du parti Kataëb et du Parti socialiste progressiste, dont les députés avaient voté pour le député de Zghorta.

Ces blocs relèvent qu’ils ont le mérite de s’être entendus sur un nom, et de l’avoir appuyé, soulignant que ce n’est pas le cas des alliés du 8 Mars, qui de ce fait torpillent le processus électoral en se contentant de déposer dans l’urne des bulletins blancs.

"Nous avons proposé un candidat, ils n’ont pas réagi et n’en ont proposé aucun autre", précise une source proche du Rassemblement démocratique (PSP), qui ajoute: "Qu’ils proposent un nom et qu’ils essaient de nous en convaincre, au lieu de déposer des bulletins blancs".

Même position du côté des députés de la République forte (Forces libanaises), qui relèvent que "l’autre camp n’arrive pas à s’entendre sur un candidat". Une source proche des FL souligne ainsi l’importance des efforts en cours pour unifier l’opposition, et des contacts avec les députés indépendants et le groupe de la Modération nationale.

La source regrette cependant le manque de coopération de la part des députés du Changement, "qui empêchent l’unification de l’opposition", et l’obtention par Michel Moawad des 65 voix requises au second tour. D’après elle, les séances se succèderont, jusqu’à ce que le chef du CPL Gebran Bassil réalise qu’il n’a aucune chance d’accéder à la présidence, ce qui permettra au 8 Mars d’annoncer un candidat, et au processus électoral d’aboutir.

C’est dans le cadre de la coordination entre les FL et le PSP que s’inscrit la rencontre lundi entre Samir Geagea et le député Waël Bou Faour à Meerab. En sortant de la réunion, M. Bou Faour a déclaré: "S’il faut en fin de compte parvenir à un président rassembleur qui fasse l’unanimité et ne constitue un défi pour personne, alors les autres blocs devront clairement agir dans ce sens et présenter leurs candidats afin de discuter de la possibilité d’arriver à une formule de compromis".

Pour ce qui est du quorum, des sources de l’opposition s’attendent à ce qu’il soit assuré, même si certaines se demandent si les députés du Hezbollah, du bloc de Tony Frangié (fils de Sleiman Frangié, considéré comme l’un des possibles candidats du 8 Mars) et des sunnites proches du 8 Mars participeront à la séance.

Le 8 Mars: bulletins blancs

De leur côté, les blocs du mouvement Amal, du Hezbollah, et du Courant patriotique libre comptent de nouveau glisser des bulletins blancs dans l’urne. La seule question qui se pose dans ce cadre concerne la participation des députés du CPL à la séance. Il convient de rappeler que la date du 13 octobre coïncide avec la commémoration du départ, le 13 octobre 1990, de Michel Aoun du palais de Baabda par la force, après une offensive menée par l’armée syrienne.

Contactée par Ici Beyrouth, une source proche du groupe parlementaire aouniste a indiqué que celui-ci prendra mardi les décisions relatives à la séance de jeudi. Mais en soirée, le chef du CPL, Gebran Bassil, devait annoncer dans le cadre d’une interview à la LBCI que son bloc ne se ne rendra " probablement pas " au Parlement ce jour-là.

Des sources qui suivent de près le dossier présidentiel estiment que le quorum sera assuré, et que même si le groupe aouniste décide de boycotter la séance, les députés du mouvement Amal et du Hezbollah seront présents et déposeront des bulletins blancs.

Elles n’excluent pas un défaut de quorum à l’issue du premier tour, comme lors de la première séance, les efforts en vue de trouver un candidat d’entente n’ayant toujours pas abouti.

"Les choses ne sont pas encore mûres", estime la source, qui explique qu’un président pourrait tout de même être élu avant le 31 octobre. Selon elle, le candidat du 8 Mars ne serait pas le député Sleiman Frangié, ni le commandant de l’armée, le général Joseph Aoun.

Quant à la décision du président du Parlement Nabih Berry de convoquer les parlementaires à une séance électorale avant qu’une entente n’ait été trouvée, alors même qu’il avait déclaré à la fin de la première séance que la seconde séance ne se tiendrait qu’en cas de consensus, elle s’explique par son attachement à la Constitution, selon la même source.

En effet, l’article 73 de la Constitution stipule ce qui suit: "Un mois au moins et deux mois au plus avant l’expiration des pouvoirs du président de la République, la Chambre se réunit sur convocation de son président pour l’élection du nouveau chef de l’État. À défaut de convocation, cette réunion aura lieu de plein droit le dixième jour avant le terme de la magistrature présidentielle".

Le mandat du président actuel expirant le 31 octobre, la non-convocation par le président Berry à une séance électorale pourrait encourager les députés à se réunir n’importe quand pour élire un président, ce qui provoquerait une situation chaotique que le chef du Législatif essaie d’éviter, selon une source proche du dossier.

Les indépendants: Liban

Un autre bloc qui s’est imposé comme étant un joueur de taille au Parlement, à savoir celui de la "Rencontre parlementaire indépendante", a décidé lui aussi de voter de nouveau en faveur du "Liban", comme l’avaient fait la plupart de ses membres lors de la première séance. Une décision finale sera prise mardi.

La Rencontre est un rassemblement de députés indépendants. Elle regroupe notamment le bloc de la Modération nationale (formé de six députés du Liban-Nord, à savoir Walid Baarini, Mohammed Sleiman, Abdel-Aziz Samad, Ahmed Kheir, Sajih Attiyé et Ahmed Rustom), ainsi que Imad el-Hout (Jamaa Islamiya) et plusieurs députés indépendants, notamment Nabil Badr, Nehmat Frem, Abdelkarim Kabbara, Bilal Hchaïmé, Ghassan Skaff et Jamil Abboud.

Il convient de noter que lors de la séance du 29 septembre, Bilal Hchaïmé avait voté en faveur de Michel Moawad, et Abdelkarim Kabbara avait voté pour " la ligne de Rachid Karamé " (Premier ministre libanais assassiné en 1987).

Les membres de la Rencontre indépendante s’étaient réunis jeudi dernier chez le député Sajih Attiyé. Le but était d’unifier les position, comme l’a précisé M. Attiyé à Ici Beyrouth.

"Nous allons déposer un bulletin portant le mot Liban, car nous n’avons pas complété les discussions avec tous les autres blocs pour atteindre une position finale", a-t-il ajouté. Il a noté que Michel Moawad "remplit beaucoup de nos critères, et nous sommes convaincus à hauteur de 90 pour cent de sa candidature, mais nous ne voulons pas un candidat qui constitue un défi pour une quelconque partie".

Après des réunions avec les Kataëb et les FL, le bloc de la Modération nationale va rencontrer Michel Moawad et d’autres députés mardi. Réalisant qu’il peut faire peser la balance d’un côté comme de l’autre, le groupe de la Rencontre indépendante "veut la faire basculer dans la bonne direction, et sortir de l’équation 8 Mars-14 Mars", souligne M. Attiyé.

Quoi qu’il en soit, le député s’attend à l’élection d’un président avant la fin de l’année. Il explique cela par le fait "qu’un pouvoir doit être en place pour gérer le dossier du pétrole, maintenant que le gaz libanais est devenu une nécessité pour plusieurs pays". "Tout pays partenaire du Liban, surtout la France et les États-Unis, ont intérêt à ce qu’il y ait un pouvoir solide en place et une bonne gouvernance pour la gestion du dossier", ajoute M. Attiyé, qui est optimiste et pour qui "la délimitation des frontières va ouvrir des portes pour le pays".

Les députés du Changement

La position des députés du bloc du Changement n’a pas encore été finalisée et devrait l’être mardi. Une source proche de ce groupe de parlementaires a confié à Ici Beyrouth à l’issue de sa réunion lundi que les députés ont une liste de trois candidats, mais ne savent pas encore s’ils vont présenter l’un d’entre eux jeudi. Il s’agit de Ziyad Baroud, Nassif Hitti et Salah Honein.

Ces trois noms sont discutés avec les autres groupes, mais si aucun ne fait l’unanimité, les députés du Changement finaliseront leur position. En tous les cas, ils ne voteront pas pour Michel Moawad, précise la source, qui reconnaît l’existence de divergences de points de vue au sein du bloc, "amplifiées" de l’extérieur.

La source dément les accusations selon lesquels les députés du Changement empêchent l’unification des groupes parlementaires de l’opposition, relevant que les 65 voix ne sont pas garanties même si le bloc vote pour M. Moawad.

La séance du 29 septembre

Il convient de rappeler que sur les 122 députés présents le 29 septembre, 36 avaient voté pour Michel Moawad (groupes souverainistes), et 11 pour l’homme d’affaires Salim Eddé (les députés du Changement). Soixante-trois députés avaient opté pour le vote blanc (8 Mars) alors que onze autres ont placé le mot "Liban" dans l’enveloppe (Rencontre parlementaire démocratique).  Les deux derniers suffrages avaient été respectivement pour Mahsa Amini, la jeune Iranienne décédée pendant son interrogatoire à Téhéran et devenue le symbole de la rébellion contre la répression dans ce pays, et pour " la ligne de Rachid Karamé ".

M. Moawad avait estimé qu’il bénéficiait en fait du soutien de 40 députés, si l’on compte les quatre qui s’étaient absentés ce jour-là, à savoir Sethrida Geagea (Forces libanaises), Sélim Sayegh (Kataëb), Fouad Makhzoumi (bloc du Renouveau aux côtés de Michel Moawad) et Nehmat Frem.