L’arme des bulletins blancs choisie par les blocs du 8 Mars a une nouvelle fois empêché lundi l’élection d’un président de la République. Au cours de la séance, les votes des députés du Changement se sont répartis sur trois candidats, et un second membre du bloc, Waddah Sadek, a claqué la porte.

La quatrième tentative d’élire un président de la République a fait chou blanc, lundi 24 octobre, en raison encore une fois du recours des blocs du 8 Mars aux bulletins blancs et au défaut de quorum à l’issue du premier tour, provoquant la levée de la séance et empêchant la tenue d’un second tour.

Photos Ali Fawaz

Si lors des précédentes séances, ces blocs préparaient toute une mise en scène pour provoquer, ou au moins " constater " un défaut de quorum, ils n’ont même pas pris la peine de le faire lundi. La séance a tout bonnement été levée après le premier tour, alors que bien plus que 86 députés se trouvaient dans l’hémicycle.

Cette réunion, au cours de laquelle les blocs traditionnels ont campé sur leurs positions, a été marquée par des changements au niveau des nouveaux blocs, notamment celui des députés du Changement, ainsi que celui de la Modération nationale (Akkar) et ses alliés, que les observateurs appellent les "anciens du courant du Futur".

En attendant la prochaine séance, à laquelle le président du Parlement devrait convoquer sous peu, on ne peut que constater que le pays est pratiquement entré dans une vacance présidentielle. À moins d’un miracle avant la fin du mandat du président Michel Aoun le 31 octobre, son successeur ne sera pas connu dans l’immédiat.

Plusieurs observateurs prédisent toutefois que la vacance ne se prolongera pas à l’instar de celle qui avait précédé l’élection de Michel Aoun et qui avait duré deux ans et demi. Selon eux, la situation se décantera assez rapidement après la fin du mandat. Le dialogue auquel le président du Parlement convoquera les blocs après la fin du mandat contribuera, selon ces observateurs, à accélérer le processus.

Les résultats

Pour en revenir à la séance de lundi, qui s’est tenue en présence de 114 députés (5 de moins que jeudi dernier), le dépouillement des bulletins a donné 39 votes à Michel Moawad, 50 bulletins blancs, 13 votes pour " le nouveau Liban ", dix voix en faveur du professeur Issam Khalifé et deux bulletins blancs.

Le vote étant secret, toutes les analyses se fondent sur des suppositions, pour la plupart confirmées auprès des députés qui ont déposé les bulletins dans l’urne. Les auteurs des deux bulletins annulés sont Abdelkarim Kabbara (qui a une nouvelle fois voté " pour le Liban "), et Jamil Sayed, qui a présenté ses " condoléances " aux Libanais.

Les votes blancs, déposés par les blocs du Hezbollah, du Courant patriotique libre, du mouvement Amal et par leurs alliés ont diminué en nombre, passant de 63 lors de la première séance à 55 jeudi dernier et 50 lundi.

Photos Ali Fawaz

39 voix à Moawad

Le candidat de l’opposition souverainiste, le député Michel Moawad, a gardé l’appui des principaux blocs qui votent en sa faveur dès la première séance tenue le 29 septembre dernier. Il s’agit, on le rappelle, de la République forte (Forces libanaises), de la Rencontre démocratique (Parti socialiste progressiste), des Kataëb et du Renouveau (Michel Moawad, Achraf Rifi, Fouad Makhzoumi et Adib Abdelmassih), ainsi que Camille Dory Chamoun, président du Parti national libéral, membre du bloc des FL.

Après avoir obtenu 36 voix lors de la première séance, et 42 lors de la troisième, il a recueilli 39 votes lundi, sachant qu’il peut également compter sur l’appui de quatre députés qui étaient absents : trois parlementaires des Forces libanaises (Ziad Hawat, Georges Okais et Elie Khoury) et le député Nadim Gemayel (Kataëb).

La Modération nationale

Mais M. Moawad a perdu les voix des deux députés du Bloc de la Modération nationale, qui avaient voté pour lui lors de la troisième séance, ainsi que celle du député Bilal Hchaimi (sunnite, Zahlé), qui avait voté en sa faveur à deux reprises.

Selon les informations recueillies par Ici Beyrouth, le revirement de bord de M. Hchaimi, qui a voté cette fois pour " le nouveau Liban ", est intervenu suite à une réunion tenue avec le bloc de la Modération et des indépendants sunnites. Ces derniers se seraient engagés à voter pour Michel Moawad au second tour, s’il se tient, encourageant M. Hchaimi à maintenir la cohésion des rangs de cette communauté. Leur argument principal était que sans le vote des députés du bloc du Changement, qui ont clairement indiqué qu’ils ne voteraient pas en faveur de M. Moawad, celui-ci n’a aucune chance d’être élu.

Certains observateurs estiment que le vote des députés de la Modération reflète " le début de la phase II " de l’élection présidentielle. Celle-ci paverait la voie à l’élection d’un candidat consensuel accepté par la plupart des blocs. Une intervention dans ce sens aurait été exercée par un pays ayant de l’influence sur les "anciens haririens", à savoir l’Arabie saoudite.

Waddah Sadek sort du bloc

C’est du côté du bloc du Changement qu’une nouvelle surprise est arrivée lundi. Deux élus de la contestation ont en effet voté pour le député de Zghorta. Il s’agit de Rami Finge, qui avait voté de la même manière lors d’une séance précédente, et de Waddah Sadek.

Ce dernier a non seulement donné sa voix à M. Moawad, mais il est également sorti des rangs des députés du Changement, emboitant le pas à son collègue Michel Doueihy, qui avait claqué la porte lors de la séance plénière du 18 octobre…

Le bloc des 13 députés du Changement en compte donc actuellement 11.

M. Sadek, qui lors de la séance était assis aux côtés des députés Kataëb, a indiqué à Ici Beyrouth que son retrait est notamment intervenu en raison de la façon de travailler au sein du bloc, et de la prise de décision à la dernière minute.

Il a critiqué le choix des candidats présentés par le bloc, soulignant au passage que MM. Sélim Eddé (candidat du bloc lors de la première séance) et Issam Khalifé (candidat lundi) ont tous les deux précisé qu’ils n’étaient pas en lice, ajoutant qu’il en est de même pour un autre nom avancé par le bloc, Nassif Hitti.

Waddah Sadek nous a confié qu’il rejoindrait probablement les rangs d’un nouveau bloc d’une dizaine de membres qui est en cours de formation.

Issam Khalifé et " nouveau Liban "

La plupart des anciens collègues de M. Sadek présents lors de la séance (Paula Yacoubian était absente) ont, eux, voté pour le professeur Issam Khalifé, qui a obtenu 10 voix. M. Michel Douaihy, qui s’est assis aux côtés des membres du bloc de la contestation, a voté comme eux.

Par contre, les députés Mark Daou et Najat Aoun ont voté pour " le nouveau Liban ". Interrogé par Ici Beyrouth, M. Daou a indiqué que Mme Aoun et lui-même continuent de faire partie du bloc du Changement, précisant que tous les deux demandent que la méthode de travail soit revue.

Le nom de M. Khalifé avait été soulevé une première fois par le député Oussama Saad, qui comptait appuyer sa candidature lors d’une précédente séance, mais n’avait pas pu le faire en raison de l’absence de quorum. M. Saad a d’ailleurs voté pour lui lundi.

Dans les déclarations qui ont suivi la séance, le bloc du PSP et celui des FL ont réitéré leur appui à M. Moawad, et les blocs du 8 Mars ont souligné de nouveau qu’aucun candidat ne pouvait être élu sans consensus.

Pour sa part, le député Michel Moawad a stigmatisé le camp politique " qui fait chanter les Libanais en continuant de bloquer la présidentielle à travers des défauts de quorum continus ". Il a par ailleurs dénoncé les accusations de traîtrise lancées par le Hezbollah " à chaque fois que cela l’arrange politiquement ".

Il a encore une fois appelé à unifier l’opposition "parce qu’un candidat consensuel, souhaité par le camp du 8 Mars, devra surtout présenter ses lettres de créances au Hezbollah puis à ses alliés, notamment le CPL, ce qui pratiquement, prolongera la crise".

En attendant la prochaine séance, les blocs souverainistes rappellent que le dialogue auquel va appeler le président Berry pour sortir de la crise ne remplacera pas une élection en bonne et due forme du président de la République.

"Il n’y a pas de suppléant à la présidence", souligne le député Sélim Sayegh à Ici Beyrouth.