Selon des informations non confirmées, l’émissaire français n’a pas prévu de rencontrer les présidents de la République et du Parlement, en raison de la couverture qu’ils assurent au Hezbollah.

L’émissaire français chargé de la coordination du soutien international au Liban, Pierre Duquesne, a entamé lundi à Beyrouth une batterie de contacts s’articulant autour de la double crise politique et économique qui empêche le pays de lancer un processus de règlement, pourtant excessivement urgent.

La nouvelle mission diplomatique de Pierre Duquesne qui s’étale sur trois jours, s’inscrit dans le cadre des efforts menés par Paris pour sortir le pays du Cèdre de sa crise, exacerbée par un blocage politique sur le plan interne et par des tensions diplomatiques avec les pays du Golfe sur le plan externe.

Une implosion du gouvernement
L’émissaire français a eu dans la matinée un premier entretien avec le Premier ministre Nagib Mikati, qui lui a exposé l’évolution des pourparlers avec le FMI sur un programme de sortie de crise au Liban mais qui lui a grosso modo expliqué qu’il n’est pas en mesure de convoquer le gouvernement à l’heure actuelle, au risque de provoquer une implosion de son équipe. Il a quand même assuré son hôte d’une intensification des efforts devant déboucher sur un déblocage politique. En face, Pierre Dusquene juge primordial que le gouvernement avalise les projets sur lesquels les commissions ministérielles planchent en vue d’une sortie de crise, et cela, avant les prochaines élections, selon des sources informées de la teneur des discussions au Sérail.

L’entretien de plus d’une heure s’est déroulé en présence de l’ambassadrice de France, Anne Grillo, avec un Premier ministre qui essaie donc tant bien que mal de presser pour la reprise des réunions du Conseil des ministres.

Le blocage gouvernemental dure depuis le 12 octobre, parce que le tandem chiite (Amal-Hezbollah) refuse que le juge d’instruction Tarek Bitar poursuive l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, sous prétexte que ce dernier l’a politisée, en engageant des poursuites contre des responsables politiques proches de leur camp. Il conditionne sa participation de ses ministres aux réunions du gouvernement par un écartement de Tarek Bitar, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs.

Quant aux tensions politiques et diplomatiques avec les pays du Golfe – facteur additionnel de l’aggravation de la crise gouvernementale – elles résultent, entre autres, de propos controversés de l’ancien ministre de l’Information, Georges Cordahi, qui avait critiqué l’intervention politique et militaire de l’Arabie saoudite au Yémen, lors d’une interview diffusée par la chaîne de télévision al-Jazira en octobre dernier.

Après la démission de Georges Cordahi, au début du mois, les pourparlers du président français, Emmanuel Macron, et du prince héritier saoudien Mohamad Ben Salman (MBS) à Djeddah le 4 décembre, ont créé une brèche dans les rapports tendus entre Beyrouth et Riyad, et pavé la voie à un début d’assainissement des relations libano-arabes. Néanmoins, cette percée dépend d’une série de mesures et de réformes sur lesquelles capitalisent les dirigeants français et saoudien, afin que Beyrouth puisse prétendre à un soutien régional et international.

Un suivi de Djeddah
Pierre Duquesne est donc au Liban pour un suivi des réunions de Djeddah, mais aussi pour “un suivi des avancées des discussions en cours avec le Fonds monétaire international (FMI), qui a pour but d’encourager les Libanais à progresser dans la mise en œuvre et l’application des réformes attendues par la communauté internationale”, selon une source diplomatique française. La présence de M. Duquesne devrait uniquement porter sur le volet économique de la crise libanaise, dans la mesure où ses prochains entretiens sont prévus avec des responsables et autorités du secteur économique, apprend-on de mêmes sources.

Lors de sa rencontre avec le Premier ministre libanais, l’envoyé français aurait déclaré que “les négociations avec le FMI sont sur la bonne voie et que l’accord qui en résulterait permettra d’éventuelles discussions pour la tenue de la conférence CEDRE (conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises)”.

Les discussions de l’émissaire sont certes éminemment économiques mais sa visite n’a pas que ce caractère de toute évidence. La France qui s’efforce de tirer le Liban du bourbier dans lequel il ne fait que plonger, semble attendre du Liban un geste de bonne volonté qui serait un écho à l’initiative de sortie de crise qu’elle avait lancée au début du mois avec l’Arabie saoudite. C’est dans ce contexte précis qu’il faut placer les informations selon lesquelles Pierre Duquesne n’aurait pas prévu d’entretiens avec le président Michel Aoun ni avec le président de la Chambre, Nabih Berry.

Un boycottage français de Aoun?
Selon une source libanaise proche du dossier, cette décision, si elle se confirme, est principalement motivée par le fait que les deux dirigeants “assurent une couverture politique au Hezbollah”, dont le rôle déstabilisateur au double plan local et régional a été pointé du doigt dans le communiqué conjoint d’Emmanuel Macron et de MBS.

Dans ce contexte, il est intéressant de rappeler que le président Emmanuel Macron n’a pas pris contact avec son homologue libanais après sa visite à Djeddah quand bien même il était question qu’il l’appelle à son retour à Paris. M. Macron s’était contenté d’appeler Nagib Mikati avec qui MBS s’était aussi entretenu, dès que l’initiative franco-saoudienne a été annoncée.

Selon la même source, l’entretien avec M. Mikati a eu lieu “car ce dernier oeuvre autant que possible pour appliquer les mesures et réformes préconisées par l’initiative franco-saoudienne”, mais aussi parce que l’Occident peut éviter une démission du chef du gouvernement, qui plongerait de nouveau le pays dans le vide. Un vide dangereux à l’approche des législatives et de la présidentielle.

D’après la source précitée, “M. Mikati se préparerait à effectuer une visite prochainement à Riyad, pour entamer un début de dialogue avec MBS et dégeler les relations libano-saoudiennes”. Le Premier ministre est soucieux de rétablir les ponts entre Beyrouth et Riyad et de manière générale d’améliorer les relations du Liban avec les pays du Golfe, ce qui explique sa réaction violente à la conférence de presse d’opposants bahreini, organisée il y a quelques jours dans la banlieue sud, sous le parrainage du Hezbollah, et dirigée contre Manama à cause de la normalisation de ses relations avec Israël.

Cette conférence, qui semble avoir compromis la visite de Nagib Mikati en Arabie, ne peut être interprétée que comme une réponse indirecte de la formation chiite à l’initiative franco-saoudienne qui souligne la nécessité pour le Hezbollah de cesser de s’ingérer dans les affaires de pays tiers, s’il faut que le Liban bénéficie d’une assistance arabe et internationale pour sortir de sa crise.