Deux ans et demi après leur désignation, les membres de la commission nationale indépendante chargée du dossier des disparus dresse un bilan de leur action et exposent les défis auxquels ils font face.

"Mon fils est un soldat de l’armée. En octobre 1983, il a été kidnappé de sa maison. Un homme était venu le chercher pour soi-disant lui acheter une voiture. Depuis, je n’ai plus aucune nouvelle de lui. Il avait 21 ans."

Serrant contre la poitrine la photo de son fils, jaunie par le temps, Mountaha implore les membres de la Commission nationale indépendante chargée du dossier des disparus de ne ménager aucun effort pour faire la lumière sur le sort de son fils. C’est le cas d’ailleurs de tous les proches de disparus venus assister, mercredi, à la conférence tenue par les membres de la commission au Club de la presse, à Furn el-Chebback, pour faire un bilan de leur mission et exposer les défis qu’ils rencontrent, deux ans et demi après la formation de la commission.

Et ceux-ci sont nombreux, d’autant que la commission n’est toujours pas au complet, deux magistrats doivent encore être désignés. Pour rappel, il a fallu plus d’un an et demi après le vote de la loi en novembre 2018 pour que les membres de la commission soient désignés en juin 2020. À peine a-t-elle été formée que deux de ses membres ont démissionné. Leurs remplaçants n’ont été désignés qu’en avril 2020. Mais en juin de la même année, quatre autres membres ont démissionné. Ce n’est qu’en octobre de l’année en cours que trois nouveaux membres ont été désignés: Marwan Sakr, représentant de l’ordre des avocats de Beyrouth, Fawaz Zakaria, représentant de l’ordre des avocats de Tripoli, et Naji Saaiby, représentant des ordres des médecins de Beyrouth et Tripoli. Les autres membres sont Ziad Achour, représentant du conseil de l’Université libanaise, Carmen Abou Jaoudé et Adib Nehmé, représentants la société civile, Joyce Nassar et Wadad Halaouani, représentantes des familles des disparus.

Tourner la page de la guerre

"La commission fait face à de nombreux obstacles puisqu’elle ne dispose pas des bases de travail les plus élémentaires", comme le local où elle peut siéger ou encore les moyens financiers, lance Wadad Halaouani, affirmant que malgré tout, les membres de la commission travaillent sans relâche pour que la vérité éclate au grand jour et pour que le Liban puisse tourner enfin la page de la guerre. Mais aussi pour jeter les bases de travail pour leurs successeurs au sein de la commission, puisque conformément aux dispositions de la loi 105 sur les disparus, les membres actuels de la commission ont un mandat de cinq ans non renouvelables.

Aussi, les membres ont-ils développé les systèmes financier, administratif et interne de la commission, ainsi que le code de déontologie, ont établi le budget et mis en place une stratégie de travail pour les trois prochaines années, comme l’explique Ziad Achour. "Cette commission ne peut pas, en aucun cas, menacer la paix civile", déclare-t-il, insistant sur le fait que celle-ci n’a pas pour rôle de juger les parties responsables de ces disparitions, mais de faire la lumière sur le sort des disparus.

Conscients des obstacles qu’ils doivent franchir et des moyens limités dont ils disposent, les membres de la commission ont décidé de travailler sur deux pistes: collecter l’ADN des proches des disparus et délimiter les fosses communes et leur assurer une garde, souligne Ziad Achour.

S’adressant aux familles des disparus, il leur a assuré que la commission continuera à déployer les efforts nécessaires "pour les soulager de cette souffrance". Il a, par ailleurs, appelé les responsables à assumer leurs responsabilités envers la commission en lui assurant un local et le financement nécessaire pour qu’elle puisse fonctionner, et les partis politiques à partager avec la commission toutes les informations dont ils disposent, d’autant qu’ils étaient des acteurs de la guerre civile, pour que la vérité puisse enfin être dévoilée. M. Achour a enfin appelé la communauté internationale à soutenir la commission, ce qui lui permettra de mener sa mission à terme.