Bien qu’il se soit engagé devant le prince héritier saoudien, lors de leur dernière entrevue à Riyad, à lutter contre toute atteinte au Royaume d’Arabie saoudite, le Premier ministre sortant Najib Mikati n’ignore certainement pas qu’il n’a pas, hélas, les moyens de sa politique. À cet égard, l’ancien député Farès Souhaid a lancé devant ses visiteurs : "Pauvre Premier ministre ! Que peut-il faire, lui qui a reçu la demande express du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane de tout faire pour empêcher l’exportation de la drogue du Liban vers le monde, avec l’Arabie saoudite comme premier destinataire ?"

Le commentaire du M. Souhaid s’inscrit dans le cadre des échanges qui ont eu lieu lors de la dernière réunion du Rassemblement de Saydet el-Jabal, qui a débouché sur le communiqué suivant : "Le Liban et les Libanais devront faire face au danger sécuritaire que représentent les tentatives iraniennes de faire passer des armes en contrebande via l’aéroport international Rafic Hariri et les menaces israéliennes de bombarder l’aéroport pour empêcher ce trafic". Le communiqué souligne que "cette affaire place à nouveau le Liban au centre des conflits régionaux et en fait un champ ouvert à tous les vents, tandis que les Libanais cherchent la paix et la stabilité et craignent de s’enliser davantage".

Pour revenir au Premier ministre Najib et son entretien avec le prince Mohammed ben Salmane, il est clair que l’affaire de l’aéroport de Beyrouth est particulièrement délicate: les médias saoudiens dénoncent déjà le fléau de la drogue exportée au Royaume à partir du Liban, à en croire les informations à ce sujet. D’ailleurs, le ministère libanais de l’Intérieur ne le cache aucunement : les postes frontières, dont l’aéroport de Beyrouth fait partie, se sont mutés en plaque tournante du trafic de drogue et les autorités font tout leur possible pour endiguer ce phénomène.

Comme le montre le communiqué du Rassemblement de Saydet el-Jabal, les tentatives iraniennes de se livrer à un trafic d’armes depuis l’aéroport de Beyrouth se sont multipliées ces derniers jours. Ce sujet a été évoqué dans un rapport publié par le site " alarabiya.net " la semaine dernière, affirmant que la compagnie aérienne iranienne Meraj assure désormais une liaison directe entre Téhéran et Beyrouth, en coordination avec les Gardiens de la révolution. Ses appareils transporteraient des armes et équipements sensibles destinés au Hezbollah. Le rapport indique que le premier vol de Meraj à destination de l’aéroport de Beyrouth a été effectué le 14 novembre dernier.

La publication de l’article a coïncidé avec le voyage de M. Mikati, le jeudi 8 décembre, en vue de participer aux travaux du sommet sino-arabe à Riyad et de se réunir avec le prince héritier. Aussitôt, le ministre de l’Intérieur et des municipalités du gouvernement d’expédition des affaires courantes, M. Bassam Mawlawi, s’est dépêché d’effectuer une tournée à l’aéroport afin de vérifier le bon déroulement du trafic en ces temps de fêtes. En réponse à une question concernant la compagnie iranienne Meraj qui fait l’objet de sanctions américaines et qui aurait atterri à l’aéroport de Beyrouth le mois dernier, M. Mawlawi a déclaré que "les services de sécurité de l’aéroport surveillent tout ce qui entre au Liban et tout ce qui en sort". "L’ingénieur et directeur général de l’aviation civile, M. Fadi el-Hassan, a clarifié cette affaire et assume ses responsabilités à cet égard, comme le font immanquablement tous les officiers de sécurité de l’aéroport, a souligné M. Mawlawi. Nous veillons à ce que les lois s’appliquent à toutes les compagnies aériennes, la sécurité du Liban étant notre seule priorité. "

Les propos du ministre Bassam Mawlawi suffisent-ils à rassurer ? Évidemment pas. Dans la forme, du moins, le ministre ne nie pas expressément qu’une opération de trafic d’armes iraniennes se soit déroulée. Dans le fond, en revanche, selon les données partagées par certains médias qui suivent de près les activités du Hezbollah, ce dernier chapeaute le réacheminement des armes iraniennes à Sanaa via Beyrouth, étant donné qu’il est bien plus difficile de les expédier de Téhéran directement vers la capitale yéménite, contrôlée par les houthis pro-iraniens. Selon ces sources, le Hezbollah utilisait le port de Beyrouth à des desseins similaires avant l’explosion du 4 août 2020.

Les réactions sur ce plan se multiplient, notamment celle de Paris qui suit désormais de près l’affaire des armes iraniennes expédiées à l’aéroport de Beyrouth. À en croire des rapports publiés par des médias proches du Hezbollah, "plusieurs messages internationaux" sont parvenus au Liban, "par le truchement des Français" en vue d’obtenir davantage de clarifications sur l’acheminement des armes et la compagnie aérienne Meraj et ses vols entre Téhéran et Beyrouth ". Selon ces rapports, ces " messages " seraient une " menace implicite ".

Pour ajouter à la longue liste de réactions dans ce cadre, Tel-Aviv n’est pas en reste. Le quotidien " Asharq aL-Awsat " a relayé par le biais de sources politiques dans le pays " qu’Israël a menacé le gouvernement libanais de bombarder l’aéroport de Beyrouth si celui-ci est utilisé pour le trafic d’armes iraniennes, comme c’est déjà le cas en Syrie ". D’autres sources israéliennes ont lié l’opération de trafic d’armes iraniennes depuis l’aéroport de Beyrouth à la visite rendue par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, au président syrien Bachar el-Assad, soulignant que "cette rencontre, tenue il y a près de trois semaines, avait abordé les difficultés auxquelles font face l’Iran et le Hezbollah en Syrie en raison des frappes israéliennes ".

Jusque-là, le Hezbollah ne s’est pas prononcé officiellement à ce sujet. D’aucuns considèrent qu’en ce qui concerne les armes, le parti de Dieu adopte la stratégie de "l’ambigüité constructive", comme l’a fait Hassan Nasrallah en réaction aux propos tenus par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu – devant l’ONU en 2018 – qui a affirmé que "les installations contrôlées par l’Iran à proximité de l’aéroport sont utilisées pour transformer les missiles de base en missiles balistiques".

De son côté, le média en ligne pro-Hezbollah, " Al Ahed ", a publié il y a quelques jours un article intitulé " Les missiles et les drones du Hezbollah protègent l’aéroport du martyr Rafic Hariri " ; cet article rapporte la citation suivante : "De toute l’histoire du conflit entre le Liban et l’ennemi israélien, le Hezbollah, de par son identité et ses aspirations libanaises, n’a jamais fait usage des infrastructures de l’État (civiles ou militaires) à des fins logistiques. Cela s’étend de même à l’aéroport Rafic Hariri, au port de Beyrouth et à tous les autres ports maritimes."

Plus loin dans l’article, on lit : "La plupart des données et des faits confirment que toutes les accusations portées contre le Hezbollah sont infondées et visent à discréditer le parti, médiatiquement et au niveau populaire – surtout aux yeux des Libanais – pendant la période des fêtes durant laquelle l’aéroport devient un carrefour pour touristes et expatriés".

L’article conclut: " Attaquer n’importe laquelle des infrastructures libanaises constitue une déclaration de guerre, et nous n’exagérons pas à ce sujet ".

Des semaines se sont écoulées et les Libanais rêvent toujours de récolter les fruits de la délimitation des frontières maritimes, conclue fin octobre. Pour eux, ce serait une accalmie entre le Liban et Israël, le Hezbollah en étant l’acteur principal supposé. Si l’ennemi juré d’Israël (entendre le Hezbollah) a facilité la conclusion d’un accord, c’est que ces développements récents marqueront le début d’une trêve entre le pays du Cèdre et l’État hébreu. Par conséquent, l’affaire de l’aéroport de Beyrouth attirera-t-elle de sérieuses menaces, ou est-ce un simple rappel des "règles d’engagement" pour que la guerre elle-même ne soit pas déclenchée ?