Le ridicule ne tue pas, souligne le dicton populaire. Surtout au Liban, malencontreusement. Ils ne doivent donc pas s’inquiéter outre mesure ceux qui s’emploient à transformer la gestion de la chose publique en une loufoque parodie de bas étages. Dernier épisode de cette parodie: la tourmente que le pays a vécue ces derniers jours à la suite de l’interpellation de William Noun. Une interpellation qui a fini par être risible tellement elle a dépassé tout entendement…

Il fallait faire preuve d’une imagination aussi débordante que maléfique, être véritablement sans foi ni loi – c’est le cas de le dire – pour imaginer un tel scénario: mettre sous les verrous le frère d’une des victimes de la double explosion qui a ravagé plusieurs vastes quartiers de la capitale, parce qu’il a brisé des vitres au Palais de Justice! On croirait rêver… Interpeller le "trublion" parce qu’il a lancé, dans un excès de colère et d’émotivité, qu’il souhaitait dynamiter ce même Palais de Justice… alors que les tireurs de ficelle s’obstinent dans l’ombre à paralyser la Justice pour ne pas que soient dévoilés au grand jour les véritables responsables du cataclysme provoqué par l’explosion de 2.700 tonnes de nitrate d’ammonium entreposées au Port de Beyrouth sous l’œil vigilant du Hezbollah, pendant des années!

Cerise sur le gâteau, sur la planète libanaise du ridicule: les forces de "l’ordre" ont entrepris avec tout le sérieux du monde d’effectuer une perquisition au domicile du "suspect" qu’est devenu William Noun à la recherche de… la dynamite! Ce n’est plus un rêve, mais un cauchemar…

Et pour parfaire ce tableau burlesque, les proches des victimes ont été convoqués pour être interrogés, lundi, dans "l’affaire" des vitres brisées! Plus risible que ça, tu meurs…

Mais bien au-delà de ces piètres scènes théâtrales, le plus grave dans cette lamentable gesticulation sécuritaire et judiciaire est qu’elle ne constitue que la partie visible de l’iceberg. Elle reflète en effet une nouvelle manifestation – et des plus graves – de la politique des "deux poids, deux mesures" pratiquée par ceux qui se croient tout permis, qui se comportent comme s’ils avaient effectué une OPA réussie sur le Liban et que le pays était devenu de ce fait leur propriété privée.

Ce à quoi nous avons assisté ces derniers jours est l’un des reflets d’un grignotage minutieusement planifié, d’une "politique des petits pas" (comme dirait Henry Kissinger), dont l’objectif est d’intimider une large composante du tissu social libanais afin d’imposer un fait accompli stratégique et sectaire, voire un projet de société aux antipodes du Liban pluraliste, libéral, ouvert sur le monde, attaché aux libertés publiques et individuelles.

Le but ultime à cet égard pourrait bien être de provoquer un changement démographique profond et d’ancrer le Liban à un modèle de société en phase avec celui des mollahs radicaux de Téhéran. Pour s’en convaincre, il suffirait d’imaginer que l’on s’embarque dans une machine à remonter le temps. On constaterait alors, avec une faible marge d’erreur, les effets de cette lente opération de grignotage à maints niveaux et dans divers domaines de la vie publique. Sauf que les héros d’une telle stratégie pernicieuse oublient souvent que le Liban est très difficilement digestible.

Engager des poursuites pour des vitres brisées ou pour une phrase lancée sous l’effet de la colère, alors que ceux qui bloquent l’enquête gambadent tranquillement dans la nature, cela revient à jouer avec le feu, à pousser la population à la révolte, à des réactions radicales (à briser des vitres !). Ceux qui s’enivrent de la chimérique OPA sur le pays qu’ils s’imaginent avoir remporté (dans leur esprit) connaissent très mal, manifestement, le Liban.

Les vives réactions, spontanées et fermes, à l’interpellation de William Noun, notamment de la part du patriarcat maronite et de plusieurs évêques et prêtres dans plus d’une région, sans compter l’imam de Jbeil, parallèlement à la mobilisation de nombreux députés, partis, médias et activistes, ont apporté une nouvelle preuve – s’il en était encore besoin – que le peuple libanais est épris de liberté, comme ne cessait de le rappeler le patriarche Sfeir aux pires jours de la funeste occupation syrienne. Un peuple qui a constamment montré, à travers l’Histoire, qu’il ne se soumet jamais et ne recule en aucune circonstance devant la coercition, l’intimidation, la répression, le chantage, les menaces et les comportements autoritaires ou dictatoriaux. Face à cette réalité incontournable, tout le reste est faiblesse.

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